CERCLE TRIGLAV
Réunion des 10 et 11 Juin 2006, a Ougny, France
Des styles de vie plus simples: utopie ou projet politique réaliste ?
ORDRE DU JOUR
Deux thèmes sont proposes pour ce débat :
- Pourquoi rechercher des styles de vie plus simples ?
- Qu’est-ce qu’un style de vie simple et quelle économie(ies) impliquerait sa généralisation ?
1erThème : Pourquoi rechercher des styles de vie plus simples ?
Trois groupes de raisons paraissent être les plus fréquemment invoquées et aussi les plus plausibles :
Il y a d’abord des raisons écologiques. C’est le désir de protéger l’environnement et d’éviter des catastrophes écologiques qui, directement issu des caractéristiques et conséquences de la révolution industrielle qui a transformé les modes de production et de consommation a partir de l’Europe du XIXeme siècle, se traduit essentiellement par trois types d’action : Les premières visent à l’éducation des consommateurs et citoyens en vue d’un changement dans les comportements, par exemple recycler au lieu de jeter. Les deuxièmes cherchent à limiter ou interdire les produits, technologies et modes de production en général qui s’avèrent polluants pour le milieu naturel. Les troisièmes, très liées aux secondes mais objets de recherches et de débats importants et distincts, concernent les sources d’énergie et avant tout le remplacement du charbon et du pétrole par des énergies propres et renouvelables.
Ces actions ne sont pas nécessairement motivées par la recherche d’une plus grande simplicité dans les modes de vie. En fait, il est plus « simple » d’utiliser des engrais chimiques que de pratiquer des cultures organiques. Et, autre exemple, les énergies renouvelables et propres ne sont ni moins onéreuses ni d’utilisation plus simple que les énergies polluantes. Mais il n’en reste pas moins que beaucoup d’écologistes, y compris certains mouvements « verts » lient explicitement la préservation de l’environnement à l’adoption de modes de vie plus frugaux. Et l’on peut en effet supposer qu’une attitude plus respectueuse à l’égard de son milieu, de la nature et de l’univers est porteuse, à plus ou moins long terme, d’une culture axée davantage sur la conservation et la modération que sur la richesse.
Il y a en second lieu des raisons économiques et politiques. Le modèle économique dominant est critiqué non seulement pour être prédateur a l’égard de la nature mais aussi pour transformer les êtres humains en consommateurs dont l’état permanent d’insatisfaction, nourri par une omniprésente publicité, est nécessaire au bon fonctionnement d’un système de production et de distribution fonde sur la création incessante de besoins et sur l’obsolescence rapide de biens naguère faits pour durer. Il est déploré, que les « règles du marché » n’envahissent des institutions et domaines de la vie sociale dont le fonctionnement répondait traditionnellement a des critères non-marchands. Ainsi du sport et des divertissements. S’accompagnant d’une concentration du pouvoir économique et financier et d’un développement de diverses formes d’inégalité, ce modèle économique qui est aussi un modèle de vie et de société est jugé par beaucoup comme étant moralement et politiquement condamnable.
La mondialisation, qui est une dissémination de ce modèle, stimule une contestation globale de la part de mouvements de la société civile et est pour beaucoup source d’incertitude et d’un sentiment d’impuissance a l’égard d’un avenir qui semble être dictée par de très puissants gouvernements et par des acteurs économiques et financiers comparables aux grands féodaux de jadis. Ne pas être dans le « mouvement » est synonyme de marginalisation. Des lors, étant donnée que les systèmes d’économie dirigée de façon centrale et autoritaire ont démontré qu’ils étaient non seulement liberticides mais également productivistes jusqu’à l’absurde, il semblerait qu’une nouvelle façon de concevoir l’économie, le bien-être et le progrès social doive être inventée et que les notions de simplicité et de frugalité puissent fournir des repères utiles a cette démarche.
La recherche de styles de vie plus simples a aussi des raisons philosophiques et religieuses.Dans beaucoup de traditions, (peut-on dire dans la plupart des cultures du passe et dans certaines cultures contemporaines ?) la sagesse réclame la simplicité, le contrôle des impulsions et des désirs, et une serenite, ou paix intérieure qui s’accompagne d’un certain détachement a l’égard des multiples sollicitations qu’offre la vie en société. Sagesse semble impliquer une forte dose de stoïcisme. Et le bonheur, qui, dit-on ne fut « inventée » que récemment, en tout cas dans la culture occidentale, est vu par beaucoup de moralistes comme le fruit d’une sage modération et d’une sereine recherche de la simplicité. Même la tradition Epicurienne repose sur un choix clair des plaisirs et sur le rejet de tout ce qui est excessif. Ce lien entre sagesse, bonheur et simplicité englobe aussi la generosite et le partage. Sauf peut-être dans certains courants de pensée nés durant le vingtième siècle, sagesse et bonheur n’ont jamais côtoyé l’égoïsme et la concentration de l’énergie humaine sur l’acquisition d’argent ou de biens. La spiritualité implique la simplicité. Elle est du coté de l’Etre plutôt que de l’Avoir.
En apparence, ces notions de modération et de simplicité et leurs liens avec la sagesse et le bonheur sont étrangères au monde contemporain. Tout ce qui est visible, bruyant, puissant et dominant exprime une conception de ce que sont une vie réussie et une bonne société qui se situe aux antipodes des enseignements et exemples traditionnellement offerts par le Saint, le Sage et le Philosophe. L’Organisation des Nations Unies parle de paix et de prospérité, d’élimination de la pauvreté et de développement durable, mais les mots de simplicité et de sagesse ne figurent pas dans le langage international. Les Organizations Non Gouvernementales sont beaucoup plus préoccupées par une meilleure répartition des richesses entre nations et, dans une moindre mesure entre les classes sociales, qu’elles ne le sont par l’excès de consommation dans les pays riches. Même les autorités religieuses les plus connues parlent davantage de moralité et de paix que de sagesse et de simplicité.
En effet, la recherche d’une vie plus simple n’est certes pas un phénomène de masse. Mais il y a, dans les sociétés riches, beaucoup d’exemples de personnes choisissant deliberement de se mettre a l’abri de la compétition qui caractérise l’économie moderne et qui choisissent des styles de vie plus paisibles. Et puis il n’est peut-être pas absurde de penser que les sagesses traditionnelles restent cachées au cœur des cultures contemporaines et que la violence ambiante exprime des manques qui ne sont pas d’ordre matériel.
Parmi les questions qu’évoque ce premier thème, sont les suivantes :
- L’ensemble de ces raisons, et d’autres qui n’auraient pas été mentionnées ici, justifient-elles un projet politique de recherche de styles de vie plus simples ?
- Y a t il, dans tel ou tel pays, des exemples de partis politiques, ou de mouvements qui expriment ou sont a la recherche d’un tel projet ?Quid des mouvements du type alter mondialiste ?Et qu’en est-il aussi des religions établies ?
- Si la recherche d’une plus grande simplicité de vie est en effet réelle, s’agit-il d’une manifestation de « sur-developpement » dans les pays riches ? Est-ce que le « Sud » est implique ?
- En fait, le choix, réel ou rêvé, d’une vie plus simple est-il, aujourd’hui comme dans le passé, un choix individuel ?Cette question de la simplicité est-elle, dans toutes les cultures, l’apanage des intellectuels, des artistes et des êtres portés vers le spirituel ? Est-elle un privilège des « nantis » ?
- Même s’il en est bien ainsi, se pourrait-il que ces intellectuels et privilégies aient cette fois raison et que le choix du monde contemporain soit entre changement de modèle et multiplication des problèmes, voire catastrophe a plus ou moins long terme ?
2eme Thème :Qu’est ce qu’un style de vie simple et quelle économie(ies) impliquerait sa généralisation ?
Simplicité de vie n’est pas pauvreté, sauf si celle-ci résulte d’un libre choix. Encore que, même dans ce cas, ceux et celles qui font le vœu de pauvreté dans un contexte religieux ou laïque sont très généralement intégrés dans une communauté, un « ordre », qui assure leur subsistance. Rares et un peu suspectes sont aujourd’hui les vocations à l’anachorétisme ascétique. Simplicité de vie donc est se contenter du nécessaire et éviter le superflu, et en possession et en consommation de biens matériels. Cette notion de « nécessaire » évoque, entre autres idées du même genre, l’initiative du Bureau International du Travail qui dans les années 1970 avait lancée le concept de « besoins essentiels » qui constitueraient une sorte de seuil minimum — au-delà toutefois du seuil de pauvreté – devant être franchi par tous les êtres humains. Toutefois, différence importante, cette notion visait avant tout les pauvres du Tiers Monde, qu’il s’agissait de faire « grimper » vers ce seuil, alors que la simplicité dont il est question ici s’appliquerait d’abord a des sociétés a hauts niveaux de vie. Il faudrait limiter les niveaux de vie, ou/et modifier la conception et la mesure du progrès de ces niveaux de vie. D’où de multiples questions d’entendement du « nécessaire », de relativité de cette notion dans le temps et dans différents contextes sociaux, culturels et nationaux, et de méthodes et politiques qui pourraient la rendre attirante pour plus que quelques petites minorités.
D’où aussi le besoin de situer la simplicité, ou le « nécessaire », en relation avec l’abondance, la richesse, le « superflu ». Comme le nécessaire, le superflu est évidemment relatif, mais l’on peut néanmoins avancer qu’aujourd’hui dans un pays donné, économiquement avancé ou non, il existe une sorte d’opinion moyenne de ce dont on pourraitse dispenser ou de ce que l’on pourrait sacrifier sans peine ou même avantageusement. Sans doute, dira-t-on, mais le choix entre le nécessaire et le superflu, entre la simplicité et le luxe et l’abondance, ne saurait être réduit a une question de panier a provisions plus ou moins rempli. Il convient de ne pas confondre simplicité et austérité. Et, encore moins, d’identifier simplicité et médiocrité. Le luxe, le superflu c’est aussi souvent le beau, le non utilitaire qui charme l’existence, donne une part au rêve et rend une culture attrayante. Et c’est aussi le fruit du talent, de l’imagination, et de l’effort. Il faut donc se garder de fonder la recherche de styles de vie plus simples psychologiquement sur la paresse ou le « ils sont trop verts » de la fable et politiquement sur la haine du riche et de la réussite sociale et financière.
Il ne saurait donc y avoir frugalité dans l’égalité imposée des revenus et des conditions.Cette égalité économique et sociale forcée est toujours destructrice de tout ce qui fait la valeur d’une société et, en outre, n’est jamais réelle, en ce sens qu’elle appelle l’émergence de pouvoirs et de privilèges régulièrement plus abusifs que ceux qui existaient auparavant. Mais l’égalité des droits est fondamentale dans toute société qui mérite ce nom. Ces droits sont d’abord civils et politiques et ce sont ceux-ci que le pouvoir politiques doit respecter, en s’abstenant de tout abus. Ces droits, aujourd’hui, sont aussi économiques et sociaux et ceux-ci réclament des interventions de l’Etat. Ne serait-ce que pour progresser vers l’égalité des chances, un objectif proclamé par tous les gouvernements qui se réclament des principes démocratiques, des politiques volontaristes sont nécessaires. L’exercice des libertés fundamentales, dont la liberté d’entreprendre, s’il n’est pas guidé par une conscience des devoirs de chacun envers la communauté et tempéré par des mesures de redistribution empruntées a l’idée de justice sociale, entraîne des inégalités telles que violence et répression sont inévitables. Il ne saurait donc non plus y avoir de frugalité imposée par des inégalités extrêmes dans les revenus et les conditions de vie. Mais, aujourd’hui sans doute plus qu’hier, les relations entre justice sociale, voire justice tout court, et liberté sont problématiques.
Des styles de vie simples, c’est-à-dire avec moins de consommation, non seulement d’énergie mais aussi moins de biens durables et peut-être de services, auraient, au cas ou ils seraient répandus dans une fraction importante de la population d’un pays (5 ou 10% suffirait sans doute) des conséquences non négligeables pour l’économie de ce pays,surtout si celui-ci était un pays développe. Au moins dans le court terme, car l’on peut imaginer que les structures de production s’adapteraient a une demande sinon sensiblement diminuée mais en tout cas différente. Si la demande privée de biens de consommation devrait diminuer, celle de biens et services collectifs, notamment pour la restauration et la protection de l’environnement devrait augmenter. Et il n’est pas évident que les possibilités de travail indépendant et d’emploi seraient négativement affectées. Alors que le coût relatif des facteurs de production et la concurrence internationales poussent aujourd’hui a la recherche de technologies et de méthodes de production et de distribution avares d’emplois, il pourrait en être autrement avec des politiques économiques plus dirigistes et moins sensibles aux intérêts des groupes économiques et financiers transnationaux. C’est dire que moins de consommation de biens qui font aujourd’hui l’objet de systèmes de production et de distribution de masse impliquerait des échanges internationaux réduits, en commencant par les importations faites par le(s) pays intéresses. Ceci irait à l’encontre des idées dominantes concernant le bon fonctionnement de l’économie mondiale et l’importance de cette économie pour assurer une élévation ou un maintien des niveaux de vie des populations de la planète.
C’est peut-être au niveau des attitudes, des aspirations, des mentalités, ou de que l’on appelle souvent aujourd’hui les “valeurs”, qu’un changement dans les styles de vie vers plus de simplicité appellerait les plus profondes transformations. Les systèmes économiques reflètent et entretiennent ces valeurs et, surtout quand il y a comme aujourd’hui une puissance dominante,
les hypothèses, jugements et intérêts sur lesquels reposent ces systèmes, deviennent des articles de foi que l’on ne saurait remettre en question sans s’exposer a des accusations d’irréalisme, ou d’hérésie, ou, plus fréquemment, d’obscurantisme. Il en a toujours été ainsi de toutes les orthodoxies, religieuses ou séculaires. Ceci ne signifie pas, tant s’en faut, que les changements de mentalité puissent être rapides – sauf en cas de nécessite résultant d’une catastrophe – et surtout que ces changements soient aisément « planifiables », par exemple par un gouvernement qui en aurait le mandat et la volonté.
Mais de quelles valeurs s’agit-il ? Parmi les sources possibles, d’inspiration ou d’information, le petit livre de Schumacher, « Small is beautiful » est probablementl’une des meilleures, ou en tout cas des plus accessibles. Publié en 1973, par un économiste ayant l’intention avouée de subvertir la « science économique » ce livre démontre que ce que nous appelons « progrès » n’est souvent que régression ou simplement changement que nous n’avons pas la volonté de contrôler. Il s’inspire de Gandhi et du Bouddhisme pour rejeter les Meta et Mega conceptions de la croissance et du développement et prôner la modération, la créativité au service de la generosite et de la coopération, l’harmonie avec l’Autre et la Nature, et l’accueil au transcendent. Il déplore une culture technocratique et « aveugle à la métaphysique ». Il sépare les techniques et mécanisations qui augmentent le pouvoir de l’être humain de celles qui le rendent esclave de ses innovations. Et il voit dans les problèmes de la vie moderne – pauvreté, pollution, laideur, criminalité et mort spirituelle – des signes qu’une renaissance est impérative. Peut-être s’agit avant tout de retrouver sagesse et modération et de redéfinir ce que sont une vie réussie et une société harmonieuse.
Parmi les nombreuses questions qu’appelle ce thème :
- Est-ce que la simplicité, telle que dessinée ici, est l’équivalent de la sagesse ?Cette association est-elle toujours d’actualité dans la langue et la culture Françaises ? Qu’en est-il dans d’autres langues et cultures ? Dans la culture Nord-Américaine d’aujourd’hui est ce qu’une expression telle que « he or she lives a simple life » est entièrement flatteuse ?
- Quelles seraient les ressorts et les caractéristiques de l’économie d’un pays ou le désir de styles de vie simples prendrait une dimension autre qu’anecdotique ?Peut-on imaginer une économie très diverse dans ses relations avec l’extérieur et très diverse aussi dans ses choix de techniques et méthodes de production ?
- Pour la plupart des pays, que signifie « extérieur » et qui est en mesure de faire des « choix » ?Que signifie la recherche de styles de vie plus simples dans le contexte de la mondialisation ? Au niveau régional, la France par exemple pourrait-elle devenir plus frugale dans une Union Européenne prônant la croissance traditionnelle ?
- Comment réconcilier, ou assurer une coexistence pacifique entre simplicité dans les styles de vie et compétition ? Où devraient se situer la compétition et la concurrence pour laisser un espace suffisant à la sage frugalité ?
- Qu’en est-il de la propension a l’agrandissement, a l’expansion, a la domination, notamment dans le domaine économique et financier ?Est-ce que le gigantisme, notamment des corporations, est, comme le suggérait Schumacher, le principal ennemi de la simplicité et de la vertu de modération ? S’il en est bien ainsi, comment contrôler ces tendances dites très conformes a la nature humaine ? Serait-il possible de déplacer ou de diversifier davantage les terrains ou s’exercerait la recherche de l’excellence ?
- En quoi les notions de développement et de réduction de la pauvreté (telles qu’appliquées aux pays du Sud) seraient-elles affectées si l’ONU et, par exemple le BIT venaient a adopter l’idée que des styles de vie plus simples sont aujourd’hui nécessaires ?
- Quelles statistiques, indicateurs et concepts et méthodes d’appréciation du fonctionnement et de la qualité d’une économie et d’une société devraient être mis en place pour prendre en compte le besoin d’adoption de styles de vie plus simples ?
PROGRAMME DE TRAVAIL
Samedi 10 Juin
- Accueil
10.00 Introductions des thèmes de travail
- Thème 1 : Pourquoi rechercher des styles de vie plus simples ?
11. 30 Pause
11.45 Reprise des débats sur le Thème 1
13.00 Déjeuner
14.30 Thème 2 : Qu’est-ce qu’un style de vie simple et quelle économie (ies) impliquerait sa généralisation ?
16.00 Pause
16.15 Reprise des débats sur le Thème 2
18.30 Fin de la session
20.00 Dîner
Dimanche 11 Juin
10.00 Débats sur les Thèmes 1 et 2
11. 45 Pause
12.00 Conclusions
13.30 Déjeuner
15.00 Fin de la réunion