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REMARQUES SUR LES NATIONS- UNIES ET L’ENVIRONNEMENT – 2014

                                                                                                                        CERCLE TRIGLAV, JUIN 2014

REMARQUES SUR LES NATIONS- UNIES ET L’ENVIRONNEMENT

Jacques Baudot

Acceptons l’hypothèse qu’une organisation inter-gouvernementale et internationale est indispensable à la lutte pour maintenir habitable la planète Terre. Et ceci pour au moins deux évidentes raisons : ce sont les Etats, et seulement les Etats, qui ont le pouvoir de signer et ratifier les traites et autres instruments légaux engageant les nations à mettre en œuvre des mesures de protection de l’environnement ; et, beaucoup des problèmes affectant notre planète ont une dimension globale et demandent la coopération de l’ensemble des Etats.

Si tel est bien le cas, acceptons aussi le fait que l’Organisation des Nations Unies est, aujourd’hui, la seule organisation internationale et inter-gouvernementale qui ait le mandat et la légitimité pour être le forum ou les politiques globales concernant la sante de notre planète puissent être négociées. Plus précisément, au sein des Nations-Unies, c’est l’Assemblée Générale, avec ses 194 membres et son égalité formelle en matière de votation, qui a le pouvoir de décision en ce domaine, soit par elle-même, soit par les conférences qu’elle autorise. Le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) n’est qu’un programme au sein des Nations Unies et, même après que son Conseil d’Administration ait reçu une composition universelle pour devenir l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement, il n’a pas l’autonomie et les fonctions comparables à celles des Agences Spécialisées, telles l’OMS, la FAO, ou a fortiori la Banque Mondiale. 

En effet, depuis la conférence de Stockholm en 1972 jusqu’au prochain sommet sur le changement climatique qui doit se tenir à New York cet automne, c’est bien sous l’égide des Nations-Unies que se déroulent les principales négociations internationales concernant l’environnement. Des lors, la première question qui se pose est celle du bilan. Quel jugement peut-on porter sur l’action des Nations-Unies en ce domaine ?

Une analyse détaillée, avec des « plus » et des « moins » a la façon comptable n’entrerait pas dans le cadre de cette Note et, surtout, serait totalement inopportune quand des observateurs sérieux évoquent la possibilité d’une disparition de l’humanité ou, a tout le moins, d’une fin de la civilisation telle qu’elle s’est construite depuis la Renaissance. Plutôt qu’un bilan exhaustif, nécessaire est une évaluation de la performance des Nations-Unies au regard des aspects les plus essentiels de la protection de l’environnement. Or, si l’on en croit le dernier rapport annuel du PNUE, les tendances négatives continuent de prévaloir dans un grand nombre de domaines, y compris dans celui qui est sans doute le plus critique pour l’avenir de l’humanité, à savoir le réchauffement climatique.  Il est aujourd’hui quasi certain que même si un changement drastique de cap était décidé en 2015 – année ou un nouvel accord sur les réductions d’émissions de gaz doit finalement être conclu – le réchauffement de la planète dépassera avant la fin du siècle la limite des 2 degrés centigrades – ce seuil vu comme séparant le tolérable du dramatique. Sachant que, depuis plusieurs décennies, les mises en garde des milieux scientifiques n’ont pas manqué, il s’agit bien là d’un grave échec de ce que l’on appelle la communauté internationale.

Quelles explications peut-on donner à cet échec ?

Ecartons d’emblée le manque d’information ou le manque de compétences techniques des secrétariats qui  servent les négociations inter-gouvernementales conduites dans le cadre des Nations Unies. Pour les données statistiques et leur analyse, le système des Nations-Unies a été et, dans une certaine mesure, reste un pionnier, pour l’environnement comme pour les questions de population ou de développement. Les nombreux groupes de travail et commissions consultatives ou sont élaborées les recommandations soumises aux organes délibérants, y compris l’Assemblée Générale, n’ont aucune difficulté pour attirer les meilleurs experts et scientifiques de renom. Il suffit de mentionner le Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC, plus connu sous son sigle en Anglais, IPCC) dont les rapports, bénéficiant de l’apport des meilleurs spécialistes à travers le monde, sonnent l’alarme depuis plus de vingt ans sur le réchauffement de la planète et ses conséquences.  Quant aux fonctionnaires internationaux proprement dits, y compris le premier d’entre eux, le Secrétaire General des Nations-Unies, rares sont ceux qui leur imputent la responsabilité des lenteurs ou des échecs des négociations diplomatiques. Ce serait leur attribuer des pouvoirs qu’ils ne possèdent pas.

Ecartons aussi la difficulté qu’il y aurait à négocier des accords sérieux et complexes dans une organisation ou l’organe suprême est, sauf en matière de paix et de sécurité, une Assemblée rassemblant toutes les nations du monde dans une égalité formelle ou chacune dispose d’un vote. Cet argument est parfois avance dans les milieux diplomatiques et aussi académiques des pays occidentaux. A la fin des années 1970s et durant la décennie suivante, l’expression « tyrannie de la majorité » a même été popularisée pour dénoncer les efforts faits par les pays les moins nantis pour promouvoir un monde économiquement et politiquement plus équitable. En réalité, les textes dessinant les contours d’un « nouvel ordre économique mondial » avaient été adoptes en 1974 et 1975 avec les votes positifs de la plupart des nations les plus prospères. Et, d’une façon générale, Il est possible d’affirmer que rien ne se fait aux Nations Unies sans l’accord des pays les plus puissants, et que ce que veulent ces plus puissants ne peut jamais être durablement refuse par les autres membres. Ceci était vrai avant les « reformes » initiées a la fin des années 1980 et l’est encore plus depuis que la recherche du consensus est la pratique généralisée de l’Assemblée Générale. D’aucuns évoqueraient aujourd’hui la « tyrannie d’une très petite minorité… »

Peut-être plus pertinente est l’observation que le lien étroit établi dans les instances onusiennes entre les questions de « développement » et les questions « d’environnement » présente plus d’inconvénients que d’avantages, en tout cas du point de vue de la priorité absolue qui devrait être attachée a celles-ci quand c’est l’avenir de l’humanité qui est en cause. Ce lien, instaure dès la conférence de Stockholm, est devenu  de plus en plus fort au fil des années et des conférences mondiales, au point que l’on pourrait soutenir qu’après le « Rio plus 20 » il conviendrait de parler d’une subordination des questions environnementales aux « impératifs » du développement et, plus généralement, aux considérations économiques et financières. Il pouvait difficilement en être autrement dans une organisation soumise à une vision « Nord-Sud » des affaires du monde. Avec ce clivage, les nations du «  Sud » peuvent monnayer leur participation à la lutte contre les atteintes à l’environnement en la faisant dépendre de concessions en matière de développement, ou simplement d’aide financière. Quant aux nations du « Nord », elles peuvent s’abriter derrière les réticences du Sud pour promouvoir des politiques qui ne remettent pas en cause les fondements de leur propre développement et du style de vie de leurs citoyens. A ce jeu, tous n’ont que peu d’encouragements à adopter une perspective globale et suffisamment radicale pour être à la mesure  des urgences et des défis qui se posent à l’humanité.

Au surplus, le lien entre développement économique et protection de l’environnement, consacre sous le concept de « développement durable », s’est situé dans le contexte d’un affaiblissement de la capacité des Nations Unies à œuvrer dans le domaine économique et social. En effet, l’un des objectifs de la réforme de l’Organisation, reforme à laquelle il a été fait allusion plus haut et qui a été menée sous l’impulsion des Etats-Unis d’Amérique  depuis la fin des années 1980, fut et demeure le « recentrage » des activités onusiennes vers les questions de paix et de sécurité, l’humanitaire, et, dans une moindre mesure, les droits de l’homme.

 Outre une régression en termes réels des ressources allouées au secteur économique et social, les programmes mis en place dans les années 1960 et 1970 concernant notamment les entreprises multinationales, l’énergie, la science et la technologie, les ressources naturelles, ou encore le développement rural, la fiscalité et les inégalités, furent supprimes ou marginalises. Le développement économique devint la réduction de la pauvreté dans les pays les moins développés, comme l’attestent les célèbres objectifs millénaires du développement (les «MDGs».) Le développement social devint le développement humain, l’accent étant mis sur le bien-être individuel et non plus sur les structures et institutions des sociétés. Et, étape suivante, l’objectif même de développement et de réduction des différences de niveau de vie entre pays du «Nord» at pays du «Sud » s’effaça au profit de l’objectif de l’intégration de tous dans une économie capitaliste mondialisée.

Dans ce contexte, l’aspect central de la notion de développement durable, évoqué lors de la conférence de Stockholm et mis en exergue par le sommet de Rio de Janeiro en 1992, à savoir la nécessite de changer les modes dominants de production et de consommation, n’avait qu’une chance fort limitée de figurer effectivement dans les débats et décisions de l’Assemblée Générale des Nations-Unies. Comment une conception renouvelée du progrès économique et social aurait-elle pu être élaborée dans une institution ou les plus faibles restent demandeurs des « miettes » que veulent bien leur accorder les plus riches, et ou ceux-ci refusent de mettre en question les idées et les pratiques qui ont fondé leur prospérité ? Les encouragements a « verdir » les économies, qui constituent l’essentiel du texte adopte lors du « Rio plus 20 », vont sans doute dans la bonne direction, mais il est malheureusement certain que, même suivis d’effets, ils resteront dramatiquement insuffisants.

 En outre, un autre aspect de la réforme de l’Organisation, conduite sous le double patronage du néo-conservatisme et du néo-libéralisme, fut le rejet de toute forme d’intervention des pouvoirs publics, nationaux ou internationaux, sur le libre jeu des acteurs du « marche », notamment les organismes financiers et les entreprises multinationales. Adopter cette attitude, tout en se disant favorable à la promotion d’un développement durable, revenait à compter sur la bonne volonté ou l’intérêt « bien compris » et « à long terme » d’acteurs prives soucieux avant tout de leur croissance et des dividendes attendus par leurs actionnaires. Dans cette logique, a été lance le Pacte Mondial (Global Compact) par lequel les grandes entreprises sont « invites » a « adopter, soutenir et appliquer » dix principes très généraux dans les quatre domaines des droits de l’homme, des droits du travail, de l’environnement et de la lutte contre la corruption.

Dans cette même logique, mise à part la très anodine Organisation mondiale du tourisme (OMC), la seule organisation internationale créée depuis un demi-siècle a été l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a l’initiative des Etats-Unis, en-dehors du système des Nations-Unies, pour promouvoir la libre circulation des biens et services – un système qui, par définition, profite avant tout  aux états et acteurs économiques les plus puissants – et, contrairement aux institutions spécialisées des Nations Unies telles l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ou l’Organisation pour l’ Agriculture et l’Alimentation (FAO), dotée de pouvoirs réels. En même temps, la transformation du PNUE en une agence spécialisée dotée elle aussi de pouvoirs réels a toujours été refusée.

 Enfin, la combinaison d’une idéologie néo-libérale hostile à toute subordination de l’économique au politique avec la réticence traditionnelle des Etats-Unis a l’égard du droit international, a eu pour résultat de limiter la capacité des Nations Unies a conclure et mettre en œuvre les traites multilatéraux indispensables à la lutte contre la dégradation de l’environnement.   L’exemple du Protocole de Kyoto est édifiant. Sans doute une convention sur le mercure – la Convention de Minamata – a-t-elle été signe en 2013 sous l’égide du PNUE par 94 pays, dont les Etats Unis qui ont signé et ratifie –  mais rien ne permet d’affirmer qu’il y a là le signe d’un renversement de tendance.

En somme, il est permis d’affirmer que le lien établi entre l’environnement et le développement, ainsi que l’effacement du rôle normatif de l’Organisation dans l’ensemble du domaine économique et social, ont une part de responsabilité dans l’échec des Nations Unies à agir efficacement pour la sauvegarde de l’équilibre écologique de notre planète. Mais, au-delà de ces faits et tendances, dus à des décisions et pressions identifiables, il convient de chercher d’autres  explications, d’abord dans la culture diplomatique, ensuite dans la philosophie qui sous-tend l’activité des Nations Unies.

C’est la culture diplomatique qui règne aux Nations-Unies car, est-il besoin de le souligner, cette Organisation n’a pas d’autres pouvoirs que ceux qui lui sont accordés, au coup par coup, par les Etats membres. Son Secrétaire-General ne saurait bien sur être compare a un premier ministre, ou même a un président d’une démocratie parlementaire. Il n’est qu’un « chef d’administration. » Les fonctionnaires de son Secrétariat sont  très loin d’avoir l’autonomie et la capacité de décision de leurs collègues du Fonds Monétaire Internationale ou de l’Organisation Mondiale du Commerce exemple. Et, aucune comparaison n’est possible entre le Secrétariat des Nations-Unies et la Commission de l’Union Européenne. Ce sont donc des diplomates, et non pas des technocrates ou des idéalistes, qui façonnent les politiques onusiennes.

Ces diplomates, bien qu’au service de nations très diverses, ont en commun certains modes de pensée et d’action qui constituent une culture, et l’on peut s’interroger sur l’adaptation de cette culture a la solution de problèmes tels que ceux de l’environnement.

D’abord, ces problèmes sont globaux, et le diplomate pense en termes nationaux. L’universel, le global, l’intérêt général, le bien commun, ne sont évidemment pas des concepts étrangers a l’ONU, mais le devoir du diplomate est de les considérer à l’aune de l’intérêt national qu’il est charge de défendre. Le Secrétaire General des Nations-Unies a bien à sa disposition un certain nombre de « représentants spéciaux », « d’envoyés » et même « d’ambassadeurs » (surtout bénévoles), mais il ne s’agit absolument pas d’un véritable corps diplomatique qui serait comparable à celui dont dispose la Haute représentante de l’Union (Européenne) pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (le Service Européen pour l’Action Extérieure.)

En second lieu, le diplomate pense en termes de compromis. L’art de la diplomatie, ne pour prévenir ou terminer la guerre et pour négocier des échanges dans différents domaines, ignore la notion d’absolu. Même l’intérêt du Prince, ou de la Nation, ultima ratio de la diplomatie, doit prendre en compte l’intérêt de l’autre, adversaire ou partenaire.  La souplesse est une vertu pour un diplomate. La rigueur ne l’est pas. Or, certains aspects de la situation environnementale réclament des mesures correctives sans nuances, des mesures qui repoussent au second plan leurs implications financières, économiques, sociales et politiques. La diplomatie multilatérale, sans doute encore plus que la diplomatie bilatérale, a de grandes difficultés à prendre de telles mesures. C’est la une situation un peu comparable à celle que l’on observe pour les droits de l’homme : ni la Commission ni le Conseil qui l’a remplacée n’ont acquis de réelle crédibilité car ce sont des organes dont les membres sont des représentants de gouvernements qui n’ont pas vocation à émettre des jugements objectifs sur les problèmes qui leur sont soumis.

En troisième lieu, le diplomate agit à court terme.  Quelles que soient les convictions philosophiques et politiques personnelles de ses acteurs, la diplomatie multilatérale tend à opérer de réunion en réunion, par « sauts de puce » en quelque sorte. Pour chaque réunion, l’objectif de nombreux protagonistes est avant tout d’éviter un résultat qui serait présente comme un échec dans les medias de son pays. Et, il arrive que de « non-échec » en « succès partiel » un processus de négociation se poursuive plusieurs années, voire décennies, sans que l’objectif recherche par le secrétariat, par exemple la conclusion d’un traite, soit atteint. Ce qui veut dire que le court terme de l’horizon diplomatique se combine avec une incapacité à agir avec le sens de l’urgence que beaucoup de problèmes environnementaux réclament. En outre le langage diplomatique, se méfiant a juste titre de l’emphatique, du sentimental et de l’émotionnel, en vient aisément a une sorte de sècheresse qui masque la gravite, voire l’aspect tragique de certaines questions. 

Enfin, la culture diplomatique incarne et exprime les idées et valeurs du moment : elle est, intellectuellement et politiquement, conformiste ; elle est éminemment respectueuse  de ce qu’Isaiah Berlin appelait l’esprit du temps. Il ne peut en être autrement, car les diplomates sont les serviteurs des politiques, et, aujourd’hui dans le cadre des Nations Unies, les politiques, ainsi qu’on l’a vu plus haut, expriment cette facette de l’esprit du temps qu’est un  mélange de conservatisme et de libéralisme qui n’est guère favorable à des actions sérieuses pour la protection de l’environnement.  

Mais, cet esprit du temps qui imprègne les institutions internationales reflète aussi une philosophie politique, et il convient de se demander de quelle philosophie il s’agit. S’il est permis d’évoquer un tel sujet brièvement sans le caricaturer, la meilleure approche est sans doute d’utiliser un petit livre récemment écrit par Simon Critchley et intitule Continental Philosophie, A Very Short Introduction. La philosophie continentale, celle qui est vue, par les intellectuels anglo-saxons, comme dominante sur le continent Européen, s’oppose à la philosophie anglo-américaine. Celle-ci est analytique, orientée vers la pratique, vers l’empirique. L’utilitarisme est son fondement. Celle-là est spéculative, axée sur le théorique, teintée de romantisme et de nihilisme. Elle est essentiellement critique.

 C’est après Kant que cette opposition s’est développée, notamment en Angleterre avec d’un cote Coleridge, admirateur de l’idéalisme et du romantisme Allemand, et de l’autre, Bentham, le créateur de l’utilitarisme. Critchley note que John Stuart Mill observa avec inquiétude les débuts de cette querelle qui se termina, chacun le sait, par la victoire très complète de Bentham dans le monde Anglo-Saxon. Et, cette division philosophique s’accompagne bien sûr d’une division culturelle que Critchley, empruntant a la célèbre idée des « deux cultures » popularisée par CP Snow en 1959, appelle la culture scientifique et la culture littéraire. D’un cote il y a ceux qui, s’appuyant sur un pragmatisme réformiste, estiment que le progrès économique et social est le possible et désirable fruit du progrès scientifique et technologique. De l’autre cote sont ceux qui insistent sur l’Homme et sa condition en société, sur les valeurs, structures et institutions qui favorisent ou non la dignité humaine, et sur les relations de pouvoir. 

Les Nations-Unies, dont la Charte exprime une philosophie libérale classique mêlée au Kantisme de la « paix perpétuelle », ont pratique une politique interventionniste dans le domaine économique et social, y compris pour le respect des droits de l’homme, durant les premières décennies de leur existence. L’Organisation s’est livre à une critique très vigoureuse des structures politiques et sociales du monde de l’après-guerre, notamment mais pas uniquement du colonialisme. Elle a mise au point une praxis, c’est-à-dire un ensemble d’activités orientées vers des résultats relativement précis. Et, la finalité de cette praxis était avant tout l’émancipation des peuples et de chaque personne humaine, une noble entreprise conduite avec des succès qui ne sauraient être sous-estime. Or ces trois concepts, critique, praxis, émancipation,sont, toujours d’après Critchley, au cœur de l’expérience philosophique « continentale », dans la tradition d’une culture littéraire et humaniste qui regarde et analyse le monde pour le transformer. 

Il y avait dons là un milieu intellectuel et politique qui aurait dû être propice à une pensée et une action d’envergure quand la question de l’environnement a été mise à l’ordre du jour de la communauté internationale par quelques délégations clairvoyantes. Effectivement, la conférence de Stockholm n’a certainement pas été un échec, notamment avec la création du PNUE, et le sommet de Rio de Janeiro, nonobstant le lien étroit entre environnement et développement,  peut être considéré comme une plate-forme acceptable, avec son « Agenda 21 » et les quelques traites issus de ses travaux.  Mais, ce bon début était trompeur car ses bases philosophiques et culturelles étaient, pour deux raisons, fragiles et insuffisantes.

La première raison est que cette philosophie volontariste et humaniste évoquée plus haut qui était celle des Nations Unies durant les « trente glorieuse », s’effondra à partir des années 1980 sous les coups de la « réforme » qui mérite d’être appelée une contre-révolution. C’était le temps ou Margaret Thatcher déclarait n’avoir jamais rencontre de « société » mais seulement des individus, et où elle remarquait que « tous les problèmes qu’elle avait rencontré durant sa vie avait leur origine dans l’Europe continentale, et que toutes les solutions à ces problèmes étaient venues du « English- speaking world . » C’était aussi le temps ou Ronald Reagan faisait l’éloge de la cupidité (le « greed ») et remarquait que les pauvres n’avaient qu’eux-mêmes à blâmer pour leur paresse ou leur incompétence.

C’était la fin de l’Histoire (rappelons-nous Francis Fukuyama) et la fin du questionnement philosophique sur la condition humaine. En contraste avec la philosophie continentale, la philosophie anglo-saxonne analytique est académique et « professionnelle » et n’a pas place dans le débat politique.  Aux Nations-Unies, il devint fréquent qu’un document, ou un argument, soit qualifié de « philosophique », c’est-à-dire abstrait et « irrelevant. » Et, dans ce contexte culturel, les problèmes de l’environnement ne pouvaient être  abordes que de façon technocratique et  « economistique, » et en « partenariat » avec les grandes corporations, tandis que les organisations non-gouvernementales jouent le rôle d’un chœur antique, bruyant et marginal.

La deuxième raison est que, même avant cette contre-révolution, la rationalité en vigueur était, aux Nations-Unies comme ailleurs, issue des Lumières, mais édulcorée et « instrumentalisée. ».  La Raison, vue par Locke et Voltaire, se définit par de nombreux dualismes, tels corps et esprit, ou âme,  intelligence et sensibilité, théorie et pratique, science et art, humanité et nature, ou encore séculaire et religieux, profane et sacre. Lorsqu’ils sont incarnes dans une institution, nationale ou internationale, ces dualismes deviennent des catégories intellectuelles et politiques qui, avec le passage du temps, sont de plus en plus intériorisées et, en général, de plus en plus simplifiées et appauvries.

 Ainsi en est-il de la conception de ce qui est rationnel, donc utile et négociable, et de ce qui ne l’est pas, soit parce que subjectif, « philosophique » ou simplement trop « complique.» Les politiques pour limiter la pollution des mers ou de l’atmosphère, ou pour protéger des espèces en danger de disparition, ou applicables a tout aspect de « l’environnement,» – ce « milieu » extérieur a l’Homme – relèvent du rationnel et même du mesurable, et donc du négociable. La relation de l’Homme avec la Nature, avec toutes ses connotations spirituelles et métaphysiques, est une question trop difficile et trop sujette à controverses pour être davantage qu’une note en bas de page dans l’ordre du jour de l’Assemblée Générale des Nations Unies. 

Résumons les observations qui précèdent :

  • Les Nations-Unies sont, aujourd’hui, un maillon indispensable dans la chaine des efforts faits et à faire pour sauvegarder la sante de notre planète.
  • Les Nations-Unies, malgré quelques succès, ne se montrent pas à la hauteur de leur tâche, notamment en ce qui concerne le réchauffement climatique.
  • Une première explication pour cet échec, au sens de la plus visible, est le lien établi entre environnement et développement, lien dont les effets négatifs ont été aggraves par l’affaiblissement de l’Organisation à œuvrer dans le domaine économique et social.
  • Une deuxième explication est à chercher dans les caractéristiques de la culture diplomatique, culture indispensable à la vie internationale mais inadaptée à la solution des problèmes environnementaux les plus globaux et les plus graves.
  • Une troisième explication réside dans la philosophie politique qui imprègne l’Organisation des Nations-Unies. Cette philosophie est un avatar de l’utilitarisme qui limite le champ du rationnel, et donc du négociable, a ce qui est empiriquement observable, voire mesurable.

L’évidente question suivante serait : si le jugement de départ est fonde, et si ces explications sont pertinentes, que faire ? 

En quelques phrases, et seulement pour suggérer des pistes de réflexion :

  • Reconnaitre que les Nations-Unies sont incapables de faire mieux, et faire en sorte que l’hypothèse du caractère indispensable de leur rôle soit erronée.
  • Créer une agence spécialisée, ou une nouvelle organisation internationale en-dehors du cadre onusien, consacrée a l’environnement –ou mieux, a « l’Homme et son Milieu Naturel » (autres titres ?) – et dotée de pouvoirs réels. Les conditions politiques pour une telle création sont aujourd’hui loin d’être réunies, mais…
  • Modifier et enrichir la culture diplomatique, y compris par la formation des diplomates et par l’apport de différentes perspectives et différents acteurs dans les processus de négociation. Et même, s’il est permis de rêver, créer un corps international de serviteurs du bien commun en s’inspirant des grands ordres religieux du passe…Soumettre cette idée (farfelue, bien sûr) au Pape François…
  • Œuvrer à tous les niveaux pour une inflexion, un changement dans l’esprit du temps, dans la philosophie dominante…Œuvrer pour une philosophie qui retrouve sa signification, qui est « l’amour de la sagesse »…Ecoutons Critchley :« The problem for us modern is clear : in the face of the disentchantment of nature brought about by the scientific revolution, we experience a gap between knowledge and wisdom that has the consequence of divesting our lives of meaning. The question is can nature or indeed human selves become re-enchanted in such a way that reduces or even eliminates the meaning gap and produces some plausible conception of a good life? The dilemma seem to be intractable: on the one hand, the philosophical cost of scientific truth seems to be scientism, in which case we become beasts. On the other hand, the rejection of scientism through a new humanization of the cosmos seems to lead to obscurantism, in which case we become lunatics. Neither side of this alternative is particularly attractive. Towards the end of this book, I will try and suggest a middle path.” 

Même aux Nations-Unies, et même parmi les diplomates, beaucoup savent qu’en effet un nouveau chemin est nécessaire.  

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