LA TRANSFORMATION DES TERRITOIRES RURAUX EN FRANCE : UN SIÈCLE D’HISTOIRE
Par Jean-Michel Collette
TABLE DES MATIÈRES
Introduction…………………………………………………………………………………………………………………….. 2
- Lespopulations………………………………………………………………………………………………………….. 3
- Lescollectivitésterritoriales………………………………………………………………………………………….. 7
- L’usagedessols………………………………………………………………………………………………………… 11
- La mise en valeurdesterritoires…………………………………………………………………………………… 15
Notes……………………………………………………………………………………………………………………………. 29
INTRODUCTION
Le siècle qui vient de s’écouler a connu l’une des transformations les plus profondes que le monde ait connue. Fondement des civilisations anciennes, l’agriculture qui absorbait plus de la moitié de l’emploi total dans les pays d’Europe occidentale n’en représente plus que 2 à 3%. Le monde stable, solidement ancré dans des territoires aux frontières bien délimitées, a progressivement cédé la place à l’univers multipolaire de mobilité où, pour reprendre la formulation d’un sociologue contemporain « les réseaux relationnels multiples, labiles et réversibles remplacent les liens rigides d’autrefois ».1
Pays le plus vaste de l’Union Européenne (avec un territoire métropolitain de 550 000 km2), deuxième, après l’Allemagne par la taille de sa population (65 millions d’habitants), la France constitue un bon observatoire des mutations intervenues au cours du siècle passé. C’est en effet une construction territoriale d’une extrême complexité qui, en dépit d’une tradition centralisatrice profondément enracinée, recouvre des espaces géographiquement, économiquement et culturellement bien différenciés.
Pour appréhender ces changements, la méthode adoptée a été de s’appuyer, au moins en première analyse, et avec toutes les précautions nécessaires, sur les données fournies par les institutions statistiques officielles et les organismes de recherche qui en assurent la diffusion et l’interprétation. Comment les populations se sont-elles réparties sur le territoire national au cours du temps ? Comment les communautés locales et les institutions qui les représentent se sont-elles adaptées à ces changements ? Quelles en ont été les conséquences sur l’utilisation des sols et les modes de gestion des ressources qui servent de support à la vie rurale ? Telles sont, brièvement en esquissées, les questions auxquelles on s’efforcera d’apporter quelques éléments de réponse.
1 LES POPULATIONS
Les recensements permettent de classer les populations selon leur lieu de résidence, et de déterminer ensuite comment elles se répartissent sur les différentes portions du territoire.
- 1.1 POPULATION URBAINE / POPULATIONRURALE
Traditionnellement, l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), successeur de la Statistique Générale de la France, exploite les recensements qu’il effectue tous les cinq ans2selon des critères permettant de différencier les populations en deux groupes d’appartenance : rural ou urbain. Comme dans tous les pays disposant de systèmes statistiques modernes, le critère adopté à cette fin est purement conventionnel. Il est aussi appelé à évoluer, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de continuité statistique. C’est ainsi que jusqu’en 1954, était réputée « urbaine » une commune dont « la population, agglomérée au chef-lieu, comptait plus de 2 000 habitants ». Une définition plus large fut adaptée pour le recensement de 1962. La nouvelle définition fit référence à la notion plus large d’agglomération de population, définie comme « un ensemble d’habitations tel qu’aucun ne soit séparé de la plus proche par plus de 200 mètres et qui comprenne au moins 200 habitants ».
Quel que soit le périmètre assigné à l’urbanité, la tendance générale est indiscutable : la part des populations rurales dans la population totale ne cesse de décliner. Le poids des populations urbaines est simplement plus important si l’on adopte la ligne de séparation définie en 1962.
Le tableau ci-dessous en fournit l’illustration.
Année de recensement | Population totale (en milliers) | Part de la population urbaine(en pourcentage) | Part de la population rurale(en pourcentage) |
1872 | 36 100 | 31.1 | 68.9 |
1906 | 39 250 | 42.1 | 57.9 |
1946 | 40 500 | 53.2 | 46.8 |
1975 (A) | 52 650 | 68.5 | 31.5 |
1975 (B) | 52 650 | 72.9 | 27.1 |
Note : (A) Selon la définitionde1954 (B) Selon la définition de1962
En utilisant le critère ancien qui seul, malgré ses imperfections, permet de repérer des tendances, un phénomène majeur se dégage. En 1975 la population française était urbaine à plus de 68%. Un siècle auparavant, c’était très exactement l’inverse.
Comme on pouvait s’y attendre, le déclin de la population rurale est fortement lié à celui de l’emploi agricole. La part de la population employée dans l’agriculture est passée de 50% en 1872 à 10,6% en 1975, les paliers intermédiaires de 40% et 30% ayant été atteints en 1906 et 1946 respectivement.
Etant donné l’existence de fortes disparités dans les taux d’occupation des territoires, en d’autres termes les densités, l’étude doit se prolonger par l’analyse de la répartition des populations sur le territoire national et de son évolution dans le temps.
- 1.2 L’ÉVOLUTION DESDENSITÉS
L’un des faits les plus marquants de l’évolution démographique est la « densification » croissante du territoire. Conséquence du « baby-boom » observé, en France comme dans tous les pays européens dans les années d’après-guerre, la densité qui n’était que de 76 habitants au km2en 1936 a crû de presque 50% au cours des 70 années suivantes après pour atteindre le niveau de 107 habitants au km2à l’aube du nouveau millénaire.
Malgré l’accroissement observé, il n’en demeure pas moins que le territoire de la France
métropolitaine est l’un des moins densément peuplés de l’Union Européenne. Seules l’Espagne, la Grèce et l’Irlande ont des densités plus faibles. Les densités sont deux fois plus élevées en Allemagne ou au Royaume-Uni, et de trois à quatre fois plus en Belgique et aux Pays-Bas.2
De plus, l’évolution des densités moyennes se double de fortes disparités de peuplement qui sont la conséquence d’une mobilité accrue des populations. Il en est résulté une concentration très forte des habitants sur des portions limitées du territoire.
- 1.3 LA CONCENTRATIONDESPOPULATIONS
Une très forte inégalité dans la répartition des populations sur l’espace national est, plus encore peut être que dans d’autres pays, le fait marquant des changements observés. Sur les trois quarts du territoire, en effet, les densités de peuplement ne dépassent pas les 50 habitants au km2. Elles sont inférieures à 20 sur de vastes espaces – parfois qualifiés de « déserts » démographiques.
A l’opposé, des zones urbanisées rassemblent de fortes concentrations de population où les densités peuvent facilement dépasser 500, voir 1000 habitants au km2. Certes, un certain
«desserrement» a pu être observé au cours des décennies récentes. Mais ce résultat a été obtenu au
prix d’une périurbanisation rampante qui a amené d’anciennes communes rurales à entrer dans le giron de plus importantes agglomérations. Au total, comme l’écrivait en 1995 le Professeur Daniel Noin, éminent connaisseur des populations françaises, « sur les 3/5èmedu territoire se dispersent 9% des habitants tandis que 40% se pressent sur les 1/100èmede superficie»
Surlesquelques64millionsd’habitantsrecensésen2008, 53millionsétaientconsidéréscomme résidant dans de « grandes aires urbaines » dont 12 millions en Ile de France, c’est-à-dire dans la mégalopole parisienne. Un peu plus de 8 millions d’habitants étaient répartis dans deux types de systèmes urbains : les « petites » et les « moyennes » airesurbaines.
A ces territoires éminemment urbains s’oppose une diagonale des faibles densités que le professeur Roger Béteille, dans un livre qui fit date, qualifia de « France du vide »3. Cette portion de l’espace national se caractérise par le fait qu’elle prend le territoire en écharpe, des Ardennes aux Pyrénées, la partie orientale du Bassin Parisien, les plateaux bourguignons, le massif central et une
partie du Sud-Ouest. Les conditions naturelles, le relief et la médiocrité des sols sont en partie à l’origine de cette situation. Mais l’exode rural, intense dès le milieu XIXème siècle, et qui s’est poursuivi jusqu’au début des années 1970, a largement contribué au dépeuplement des espaces ruraux.
Dans ce « rural isolé », l’atonie démographique est la règle. Le dépeuplement ancien a eu pour conséquence le départ des jeunes, les plus âgés restant sur place – vieillissement encore accentué par le retour des retraités et parfois l’arrivée de personnes âgées étrangères à la région, y compris en
provenance d’autres pays de l’Union européenne. En conséquence, l’accroissement naturel est négatif et la faible croissance, lorsqu’elle a lieu, est maintenue par des apports de population externe. A
l’intérieur de « diagonale du vide », quatre départements (Haute Marne, Indre, Creuse et Cantal) semblent particulièrement touchés car ils voient l’ensemble de leur bassin d’activités péricliter, la plupart des services de proximité (publics ou privés) tombant au-dessous du seuil technique de rentabilité nécessaire à leur bon fonctionnement. L’isolement social – aigu pour les personnes âgées – et l’enclavement géographique aggravé par le coût élevé des infrastructures techniques nécessaires à la vie moderne, entrainent les territoires dans une spirale négative que rien ne semble arrêter.
Pourtant depuis le recensement de 1999, des signes de redressement semblent se dessiner. La croissance de la population a été, en moyenne, la plus importante dans les communes de petite tailles, particulièrement dans les bourgs de 500 à 2000 habitants. Telles sont, du moins, les leçons que l’on peut en tirer d’un examen attentif de l’évolution de la population française sur la période 1999-2010.
Taille des communes (en nombre d’habitants) | Evolution annuelle moyenne (en pourcentage) |
Moins de 500 | 0.9 |
500 – 2 000 | 1.1 |
2 000 – 10 000 | 0.8 |
10 000 – 50 000 | 0.4 |
50 000 – 200 000 | 0.5 |
Plus de 200 000 | 0.7 |
France métropolitaine | 0.7 |
Si le XXèmesiècle fut celui de l’exode rural, le XXIèmesera-t-il celui de l’exode urbain ? Telle est la question que se posait un article du journal Le Monde publié le 4 Juin 20074. Il est incontestable qu’au moins en certaines parties du territoire faiblement peuplées, de multiples initiatives ont été prises qui permettent de penser qu’une renaissance rurale a bien eu lieu, ou semble se dessiner avec de réelles chances de succès. L’expérience montre aussi que les pouvoirs locaux, en fournissant un cadre approprié au déploiement des initiatives individuelles ou collectives, sont appelés à jouer un rôle majeur dans la revitalisation des territoiresruraux.
2 LES COLLECTIVITÉSTERRITORIALES
Les collectivités territoriales décentralisées sont des structures administratives qui prennent en charge certains intérêts de la population sur des territoires précis : communes, départements, et plus récemment, depuis les lois de décentralisation adoptées en 1982, régions. En vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales, ces entités disposent de leur propre autonomie financière, et donc de leur propre budget, qu’elles ont pour mission de répartir dans les domaines de compétence définis par la loi. Sous l’effet notamment des transferts de compétence (et de ressources) liés à la décentralisation, le secteur public territorial pèse désormais d’un poids significatif dans l’ensemble des dépenses publiques. En 2015, les dépenses totales des collectivités locales avaient approché le seuil des 250 milliards d’euros. Le poids des collectivités décentralisées est particulièrement important en
matière d’investissement puisque désormais c’est presque 75% de l’investissement public qui est porté par les communautés territoriales. De toutes ces collectivités, la plus importante et aussi la plus ancienne et la plus porteuse de traditions, est la commune qui est à la base du très dense maillage de l’espace national.
- 2.1 LE MAILLAGECOMMUNAL
Entités juridiques nouvelles, les communes furent créées en1789 pour uniformiser l‘administration des territoires. En 1793, la Convention paracheva le travail en décrétant que « les dénominations de ville, bourg et village sont supprimés. Celle de commune leur est substituée ».
La France est indiscutablement un pays de petites, voire de minuscules, communes. Cellules fondamentales de l’organisation territoriale, on en compte actuellement 36 500, soit près de la moitié du nombre total de communes que comptait l’Union européenne en 2004, à la veille de l’élargissement de cette dernière aux pays d’Europe centrale et orientale.
Les communes françaises ont en moyenne 1 500 habitants et s’étendent sur un territoire de 1496 hectares, c’est-à-dire un peu moins de 15km2. Pour des raisons qui restent à élucider, les communes de montagne ont des territoires plus vastes que la moyenne. Le cas de la ville de d’Arles qui, avec une superficie de 1 020 km2, englobe toute la Camargue, constitue un cas isolé.
Unetailleaussiréduiteapparaitaujourd’huiàbeaucoupcommetropfaibled’autantqu’un certain nombre de communes rurales, dépeuplées, comptent moins de 100 habitants. De l’avis de nombreux experts, la gestion d’une entité territorialede taille aussi réduite entraine des coûts de
gestion trop élevés. On notera toutefois que les résidents de ces communes sont pour la plupart très attachés à des cellules de base où la démocratie de voisinage peut s’exercer de manière directe et où le contact est plus aisé qu’avec des administrations plus lointaines, fussent-elles « déconcentrées ». Tel est aussi l’avis de plusieurs experts, fins connaisseurs des territoires ruraux.5
A la voie de la fusion pratiquée par de nombreux pays européens, dès la fin de la seconde guerre mondiale, la France a préféré des formes plus souples de coopération en procédant à des regroupements partiels des fonctions exercées en commun. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont ainsi devenus des éléments essentiels du système d’administration locale. Des services aussi complexes et couteux que les adductions d’eaux, l’assainissement et le traitement de déchets entrent désormais dans le périmètre d’activité des nouvelles entités, inter – ou supra – communales.
Comme toutes les collectivités territoriales, la commune est gérée par un conseil élu – le conseil municipal – dont le maire, nommé par ce dernier, exécute les décisions. Dotée d’une compétence générale, la commune est habilitée à créer des services publics dans les domaines les plus divers. Outre les fonctions administratives classiques, tel l’état civil et l’établissement des listes électorales, ces domaines couvrent un large spectre d’activités allant de l’action sociale, l’urbanisme et le logement,
l’éducation primaire, la culture, les loisirs et le sport.
Pour financer les dépenses qui en découlent, les communes françaises disposent d’un budget dont les recettes sont alimentées par :
- Une fiscalité propre (elle-même alimentée par quatre impôts directslocaux)
- Des dotations de l’Etat central qui peuvent représenter en certains cas une part importantedes recettes
- Desempruntsqui nepeuventservirqu’àfinancerdesinvestissements.Contrairementaubudgetde l’Etat qui peut s’autoriser certaines facilités en ce domaine, le budget de la commune doit être présenté en équilibreréel.
Le financement d’investissements en infrastructure lourds amène les communes à établir des liens étroits non seulement avec l’Etat central mais aussi avec les autres échelons du maillage territorial
que sont les départements et les régions. Ces nécessités ont parfois donné naissance à des constructions juridiques et financières dont la complexité a été dénoncée à plusieurs reprises dans de nombreux rapports officiels.6
- 2.2 LEDÉPARTEMENT
Si la commune, héritière des paroisses d’Ancien régime, plonge ses racines dans un lointain passé – celui du haut Moyen Age – il en va tout autrement du département. Pur produit de l’idéal
égalitaire des révolutionnaires de 1789, il a été conçu dans le cadre d’un découpage géographique
destiné à rationaliser l’organisation administrative du territoire en facilitant l’accès de tous les citoyens au centre nerveux de la nouvelle entité : le chef-lieu, qui est aussi le lieu de résidence des représentants du pouvoir central : le préfet et l’administration qu’il dirige.
A la suite de la décentralisation massive des compétences intervenues en 1982 – et amplifiées depuis lors – le département intervient (directement ou indirectement par l’octroi de subventions) dans les domaines de :
- L’aide sociale et la santé (en particulier l’aide aux personnes âgées et aux handicapés);
- L’éducation et le sport (construction et entretien des collèges);
- La construction etl’entretien des routes départementales, c’est-à-dire la quasi-totalité duréseau routier, la plupart des grands axes qui relevaient autrefois de l’Etat central ayant fait l’objet d’un transfert de compétence;
- Le développement économique (en particulier par la création de zones d’activité, la réalisation d’aménagements ruraux);
- L’environnement – domaine relativement neuf, en voie d’expansion rapide et impliquant de multiples acteurs aux intérêts parfoisdivergents.
Pour la mise en œuvre de ces missions, le conseil départemental – nouvelle dénomination de l’ancien conseil général – perçoit une part des impôts directs (les mêmes que ceux des communes) et reçoit de l’Etat une dotation, en principe destinée à compenser les charges transférées du budget
central au département. Il en résulte des facteurs de litiges, d’autant plus aigus potentiellement qu’un troisième échelon du maillage territorial, la région, a été institué en 1982 par les lois de décentralisation.
- 2.3 LESRÉGIONS
Depuis leur élection en collectivités territoriales de plein exercice, les régions sont gérées par un conseil régional élu. Les principes de gestion, de même que les modes de financement qui les régissent, sont identiques à ceux des autres collectivités territoriales. Les régions se distinguent cependant de ces dernières sur un point important : l’existence d’un comité économique et social composé de
personnalités issues du monde des entreprises, des syndicats, des associations et d’experts qualifiés.
Censé représenter les forces vives de la région, le comité se prononce sur toutes les questions d’une certaine importance pour la région avant que ces dernières ne soient soumises à l’organe délibératif, c’est-à-dire l’assemblée régionale.
Les attributions de la région sont en effet principalement d’ordre économique. Responsable de la construction et de l’entretien des lycées ainsi que de certains établissements universitaires, le conseil régional a la responsabilité de la formation professionnelle. Surtout, la région est le partenaire privilégié de l’Etat pour l’aménagement du territoire et la mise en œuvre des différents « plans » ou « schémas » préparés en concertation avec ce dernier ainsi qu’avec les autres acteurs du développement territorial. Peut-être plus encore que dans les cas précédents, l’extrême complexité des dispositifs auxquelles ces schémas ont donné naissance, pose aux responsables de redoutables problèmes de coordination dont la solution en pratique est loin d’être évidente.
Une simple énumération, non limitative au demeurant, de ces dispositifs permet de mieux apprécier la complexité des problèmes abordés :
- Schéma d’aménagement régional(SAR)
- Schéma de cohérence territoriale(SCOT)
- Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux(SDAGE)
- Schéma de cohérence écologique(SRCE)
- Schéma régional climat air énergie(SRCAE)
- Schéma régional d’aménagement, de développement, de développement durable et d’égalité des territoires(SRADDET)
Si cette énumération peut apparaitre au premier abord rébarbative, elle a néanmoins le mérite de faire ressortir l’ampleur des défis posés par la répartition des activités humaines sur les différents espaces composant le territoire national. De plus en plus précises grâce aux nouveaux systèmes d’observation des territoires, mis en œuvre au niveau national et coordonnées au niveau européen, les données relatives à l’utilisation des sols nous en donnent une image relativement fidèle.
3 L’USAGE DESSOLS
Les sols sont le support physique des diverses activités économiques et sociales. De leur bon usage dépend la prospérité de l’agriculture, de l’industrie, des transports, du logement et des multiples infrastructures nécessaires à la vie en société. Partie intégrante des écosystèmes, ils sont aussi indispensables de la réalisation des différents « cycles » – de l’eau, de l’azote, du carbone pour ne citer que les plus importants –qui sont indispensables au maintien de la vie sur Terre.
Les données disponibles montrent que la France métropolitaine est avant tout un pays recouvert de champs, de prés et de forêts. Au tournant du siècle, 56% de ses quelques 55 millions d’hectaresétaient consacrésàlaproductionagricole,28%àlaforêtet8%environréservésàla
protection des milieux naturels ou semi-naturels, le reste du territoire, très largement artificialisé, étant utilisé par le secteur résidentiel et les infrastructures nécessaires aux systèmes de transport et à la fourniture de services. C’est donc en priorité sur les terrains affectés à l’agriculture queportera
l’attention.
- 3.1 LES TERRESAGRICOLES
L’ensemble des terres utilisées pour la production agricole est désigné par le sigle SAU – surface agricole utile. Seules les landes, les terrains de parcours pour le bétail sont exclus de cette catégorie. Les terres utilisées sont divisées en plusieurs sous-catégories qui mettent en évidence :
- Les terres affectées aux grandes cultures (céréales, oléo protéagineux pour l’essentiel);
- Les prairies (semées ou permanentes);
- Les « surfaces fourragères » (c’est-à-dire les cultures destinées à l’alimentation des animaux);
- Lesculturesimplantéesdefaçondurablesurleterritoire(vignes,vergers,culturesmaraichèreset horticulture).
En 2009, la SAU occupait 293 000 km2,soit 53% du territoire, qui se subdivisait ainsi :
- 29,4% en terres de grandeculture
- 18,1% enprairies
- 2,9% en vignes, vergers et cultureslégumières
Le reste se répartissait en jachère (1,2% de total) et terres non affectées à un usage spécifique.
Si l’on examine dans le long terme l’évolution des surfaces affectées à l’agriculture, un fait s’impose, à savoir la diminution, continue depuis 1950, des terres agricoles. Même si le processus semble s’être atténué au cours de la dernière décennie, c’est près de 30 à 40 000 hectares quisont
« absorbés » chaque année par d’autres usages.
L’espace occupé par les « surfaces toujours en herbe », c’est-à-dire les prairies, a été le plus concerné puisque la superficie correspondante s’est contractée de 25% entre 1970 et 1995 alors que, dans le même temps, la SAU totale perdait 7%. Si les prairies sont encore suffisamment nombreuses pour faire de la France un pays vert (près de 10 millions d’hectares en 2010, soit presque le cinquième du territoire), cette forte baisse est néanmoins préoccupante, d’autant qu’avec la crise de l’élevage, rien ne semble devoir l’arrêter.
Aucune région française n’échappe à cette évolution, même si cette dernière est particulièrement marquée, semble-t-il, en Bretagne, dans les Pays de Loire et dans tout le sud – est du pays. Si dans certaines régions les terres abandonnées le sont au profit de l’urbanisation rampante, d’autres retournent à l’état d’espaces quasi naturels (après avoir passé par l’étape de la friche) ou de la forêt – après une transition par le stade des végétations de type arbustif ou herbacé.
- 3.2 LESFORÊTS
Si les terres agricoles se caractérisent par une tendance « structurelle » à la diminution des surfaces occupées, c’est très exactement l’inverse que l’on observe en ce qui concerne les forêts.
Pendant des siècles, la forêt a été une ressource vitale pour les habitants du pays, en particulier les plus pauvres qui trouvaient dans la cueillette, le pâturage des animaux domestiques un complément de ressources indispensable à leur maigre ordinaire. De plus, le bois de feu a été jusqu’à la Révolution industrielle la source quasi unique de combustibles non seulement pour les usages domestiques mais aussi pour les industries naissantes. C’était aussi la matière première indispensable aux constructions navales dont on sait l’importance pour l’affirmation des grandes puissances maritimes des XVIIèmeet XVIIIèmesiècles – au sein desquelles la France occupait une place éminente. Malgré de nombreuses mises en garde et rapports alarmistes, il en résulta une surexploitation de la ressource, qui explique l’état déplorable des forêts françaises au lendemain des guerres de la Révolution et de l’Empire. Le couvert forestier atteint alors son plus bas niveau de l’histoire avec un total compris entre 6 et 7 millions
d’hectares, soit moins de 12% de la surface du territoire national.
Un effort de redressement considérable fut alors entrepris tant par les particuliers que par l’Etat tous conscient, non seulement de la valeur économique de la ressource bois mais aussi de la
contribution essentielle d’une forêt bien gérée pour la prévention des catastrophes naturelles, alors fréquentes, en particulier des inondations, des coulées de boue et les éboulements de montagne.
Malgré les guerres et de nombreux déboires dus à l’inexpérience, les efforts accomplis au cours des XIXèmeet XXèmesiècles ont fini par porter leur fruit, si bien qu’aujourd’hui les forêts occupent plus de 28% du territoire national. Entre 1993 et 1998 l’extension de surface boisée a été de 82 000 hectares par an. Depuis, cet accroissement a chuté à 38 000 hectares, du fait d’un certain ralentissement du rythme des déprises agricoles et de la mobilisation requise pour les travaux de reconstruction du patrimoine forestier après les terribles tempêtes de décembre 1999 – ouragans qui ont touché près d’un million d’hectares de forêts et ont abattu l’équivalent de sept années de récolte.
Au sein de l’Union européenne, la France se classe au troisième rang des pays forestiers derrière la Suède et la Finlande. A la différence des pays nordiques, et plus généralement de toute l’Europe
centrale, la forêt française se caractérise par la part importante qu’y tiennent les feuillus, chênes et hêtres au premier rang. Malgré les efforts accomplis depuis le début des années 1950 pour en développer les plantations, les conifères (pins, sapins douglas et épicéas) y sont moins bien représentés. Quel que soit le type de forêt – de plaine, de littoral, de montagne ou méditerranéen – la variété des espèces cultivées explique la richesse, économique et écologique, du couvert forestier français. Sauf dans les régions de sylviculture intensive, l’utilisation assez limitée d’engrais et de produits chimiques rapproche ce dernier en certaines de ses composants essentielles des espaces naturels, ou semi- naturels, qui vont être brièvement décrits.
- 3.3 LES ESPACES NATURELS OUSEMI-NATURELS
On distingue sous le terme générique d’espaces naturels, des parties du territoire très diverses par leur taille, leurs caractéristiques biologiques, faunistiques et floristiques, ainsi que par l’intérêt que leurs porte la communauté scientifique, les pouvoirs publics et les communautés concernées. Cette variété se traduit par la très grande diversité de mesure de protection et de conservatoire adaptées.
Outre les forêts, ces mesures de protection concernent au premier chef les zones humides, néologisme dérivé du terme anglais wetland. Les zones humides sont, selon les termes de la convention internationale de Ramsar (adoptée en 1971) « des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou
d’eaux naturelles ou artificielles, d’où l’eau stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée dont la profondeur à marée basse n’excède pas 6 mètres ».
Naguère considérés comme malsains parce que porteurs de malaria, les milieux humides apparaissent maintenant dotés d’une richesse biologique exceptionnelle. Certains peuvent produire jusqu’à dix fois plus de masse végétale qu’un champ de céréales ordinaire. Insectes, crustacés, mollusques, batraciens, poissons et mammifères leur confèrent une diversité biologique sans égal dans d’autres milieux. Les échanges entre eau douce et eau salée dans les estuaires, ou entre un fleuve et sa plaine alluviale, de matières nutritives engendrent une productivité considérable. De plus, à l’instar des forêts tropicales humides, les zones humides absorbent les crues et préviennent les inondations en agissant comme autant de régulateurs du débit des fleuves et des rivières.
Au fil du temps, selon le climat ou la nature géologique de la région, les espaces humides sont apparues sous toutes les latitudes. On les évalue à 6 % des terres émergées. Hors cours d’eau, grands lacs et milieux marins, les milieux humides de France métropolitaine couvrent environ 1,8 millions d’hectares, soit 3% du territoire. Comme ailleurs dans le monde, ces espaces sont menacés.
Assèchements à grande échelle, curage, drainage, remblaiements et urbanisation diffuse n’ont cessé de réduire la superficie des zones humides, notamment de 1960 aux débuts des années 2000 où une nette prise de conscience commença à freiner, semble-t-il, le processus. Dès l’année 1994 un rapport officiel pouvait ainsi estimer que 50% environ de ces espaces avaient disparu en moins de 30 ans, en dépit de la valeur inestimable de services rendus, en grande partie à cause des politiques publiques mises en œuvre. Malgré les défaillances qui viennent d’être signalées, l’action des Etats, n’en est pas moins au cœur des politiques menées, tant au niveau national qu’au niveau international, pour améliorer la situation des différents territoires.
4 LA MISE EN VALEUR DESTERRITOIRES
La mise en valeur des territoires ruraux est étroitement liée au développement de l’agriculture. Si le secteur agricole n’a plus l’importance qu’il eut autrefois, c’est lui néanmoins qui structure l’espace rural et l’occupe majoritairement, sur plus de la moitié du territoire. Au tournant de l’an 2000,
l’agriculture, alors en pleine mutation, occupait directement près d’un million d’actifs. Conformément aux vœux maints fois exprimés par les pouvoirs publics et les dirigeants des principales organisations agricoles, les exploitations gardaient encore une dimension familiale mais évoluaient vers de véritables entreprises, mieux structurées et de plus en plus attentives à la qualité des productions et aux défis environnementaux qui sont l’un des enjeux majeurs du siècle.
- 4.1 LES EXPLOITATIONSAGRICOLES
Une exploitation agricole est une entreprise, le plus souvent à forme individuelle, dirigée par un chef d’exploitation. Ce dernier doit avoir un numéro d’affectation à la Mutualité Sociale Agricole, organisme professionnel responsable de la sécurité sociale des agriculteurs et des salariés agricoles en France : ce numéro est indispensable pour obtenir les subventions publiques aussi bien nationales
qu’européennes. En principe une exploitation agricole doit avoir une dimension minimale afin de la distinguer du simple jardin familial. La statistique agricole française fixa ce minimum à un hectare de polyculture ou son équivalent économique.
Au recensement de 2016, il existait en France 490 000 exploitations classées en fonction de leur orientation technico-économique. 119 000 d’entre elles avaient des activités dites de « grandes cultures », pour l’essentiel dédiées aux céréales (blé, maïs, orge) et aux oléo-protéagineux (colza, tournesol). 207 000 exploitations se consacraient en totalité à l’élevage, majoritairement bovin. Les autres exploitations se répartissaient, plus ou moins également, entre les différentes formes de polyculture ou de poly-élevage, de viticulture, d’horticulture et demaraichage.
Si l’on compare ces données à celles du recensement agricole de 1988, trois constatations s’imposent :
- Les grandes cultures et l’élevage bovins sont toujours les productions dominantes;
- Lenombred’exploitationsnecessedechuter(plusdelamoitiédesexploitationsontdisparuen l’espace de 12 ans);
- La diminution est particulièrement spectaculaire pour la production laitière (le nombre de bovins est divisé par trois en moins de 20 ans, par suite de l’introduction de quotas laitiers par la Communauté européenne en 1984. En conséquence, la superficie moyenne d’une exploitation qui était de28
hectares en 1988 (et de 14 hectares en 1955) passe à 55 en 2010. En 1970, près des trois quarts des exploitations étaient mises en valeur par leurs propriétaires (« faire valoir direct ») le reste se répartissent entre fermiers et métayer. Quarante ans plus tard, cette proportion n’était que de 23%, si bien que le métayage ayant quasiment disparu, 77% des exploitations sont gérées en mode
« faire-valoir indirect », en d’autres termes par des fermiers. Locataire des terres et des bâtiments, le fermier apporte le capital d’exploitation et sa force de travail. Certes, cette dépendance peut avoir des incidences négatives sur les projets d’investissement, mais, étant donné les protections légales apportées en France par le statut du fermage, l’agriculteur en place, qui gère, selon
l’expression consacrée, son bien en « bon père de famille » ne court pratiquement aucun risque de faire l’objet d’une reprise inattendue du foncier qu’il exploite.
En revanche, les obligations qui incombent à l’exploitant agricole du fait des prescriptions de nature environnementale – suite au« verdissement » des politiques agricoles – enserrent les activités quotidiennes de l’agriculteur dans un système de normes toujours plus denses et précises dans leur formulation. Qu’elles dérivent des législations européennes ou soient d’origine purement nationale, on peut les classer en deux grandes catégories.
Apparues en 1992, les prescriptions du premier type sont constituées par les mesures dites agroenvironnementales (MAE). Ces mesures ont été définies de manière précise par une circulaire du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, en date du 18 Mars 2013. Aux termes de cette circulaire :
« Une mesure agroenvironnementale est définie comme un ensemble d’obligations et d’une rémunération. Elle vise à favoriser la mise en œuvre de pratiques agricoles favorables à
l’environnement par un exploitant agricole volontaire, en contrepartie d’une rémunération annuelle, laquelle correspond aux coûts supplémentaires, aux manques à gagner et aux coûts induits liés à la mise en œuvre des pratiques agroenvironnementales ».
Le cofinancement des mesures agroenvironnementales se fait grâce au Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER) pour l’Europe et à l’Agence de Services et de Paiements (ASP) pour la France. Au plan national, la définition et la gestion des mesures agro-environnementales
dépendent du ministère de l’agriculture et entrent à ce titre dans le cadre du « programme de développement rural hexagonal » (PDRH). Des dispositifs régionaux assurent le relai au niveau local, étant entendu que les agriculteurs volontaires s’engagent pour cinq ans.
Le second type de dispositifs, de nature purement nationale cette fois, fait suite aux lois dites lois
« Grenelle I » et « Grenelle II »adoptées en octobre 2008 et mai 2010 par le parlement. Ces lois incorporent un certain nombre de recommandations formulées lors de grandes conférences qui permirent à cinq catégories d’acteurs publics ou privés (Etat, collectivités territoriales, employeurs, salariés et organisations non gouvernementales) de formuler des propositions destinées à faire face aux grands défis écologiques rencontrés par la France . Des nombreuses dispositions concernant le secteur agricole on retiendra cinq grandes prescriptions :
- Lacréationd’unecertificationhautevaleurenvironnementale(HVE)pourexploitationsquis’engage dans de bonnes pratiques (elles-mêmes définies par référence à un cahier des charges précis);
- La promotion de l’agriculture biologique. L’objectif étant d’atteindre 20% de la surface agricole utile (SAU) cultivée en mode bio à l’horizon 2020;
- La réduction de la consommation de pesticides grâce à la mise en œuvre d’un ensemble de mesures, elles aussi définies de façon à les rendre immédiatement opératoires (plan « écophyto »2018)
- Une gestion plus stricte des ressources en eau, en vue de réduire significativement la pollution des nappesphréatiques.
Dans une loi ultérieure, plusieurs mesures d’accompagnement imposèrent l’obligation pour les distributeurs, conseillers et utilisateurs de produits phytosanitaires d’obtenir une autorisation spéciale dénommée « agrément certophyto ». Le gouvernement prit parallèlement l’engagement de dresser chaque année, à l’intention du parlement un bilan des mesures engagées et de leurs incidences sur la qualité de l’environnement. La préparation de ce rapport fut confiée au Commissariat général au développement durable (CGDD), un nouvel établissement public créé le 9 juillet 2008 pour animer et assurer le suivi de la stratégie nationale de développement durable.
L’ensemble des mesures qui furent prises, tant au niveau national qu’au niveau international
eurent le mérite de faire apparaitre la nécessité d’un changement radical des pratiques mises en œuvre par tous les acteurs de la filière agro-environnementale. Trois types d’agriculture se mirent ainsi
progressivement en place auxquelles correspondent autant d’orientations qu’il convient de bien distinguer.
La première, dite « agriculture conventionnelle » ou « classique » prolonge les pratiques anciennes. Caractérisée par la recherche d’une production maximale par unité de production, ce mode de production invite au respect scrupuleux des prescriptions imposées par le législateur, sans aller au-delà.
Définie par un décret paru au Journal Officiel de la République Française le 28 Avril 2002, la seconde orientation, qualifiée « d’agriculture raisonnée » s’efforce d’aller au-delà des normes officielles en intégrant un ensemble de bonnes pratiques définies dans un « référentiel » que les participants
s’engagent à observer. Une commission nationale de l’agriculture raisonnée fut instituée afin de superviser l’attribution des agréments. Ces derniers sont octroyés pour une période de cinq ans par
organisme certificateur après une évaluation technique. Le système fut abandonné en 2013 pour faire face aux normes de mêmes natures, mais plus exigeantes, requises par l’octroi du label « Haute Valeur Environnementale » (HVE). Dans le système HVE, la certification environnementale n’est accordée que pour trois ans renouvelables.
La troisième voie, celle de l’agriculture biologique, basée sur le refus de tous les intrants chimiques et le respect cycles naturels, a reçu une consécration officielle dès le début des années 2000.D’abord
purementfrançaise,lalégislations’estensuitefondue,danslarèglementationeuropéenne9.En2010, les 27 Etats membres de l’Union Européenne comptaient 220 000 exploitations agricoles « bios », sur plus de 9 millions d’hectares, soit 5% de la SAU européenne. En 2011, le pays le plus « bio » était l’Autricheavec20%delasurfaceagricoleconvertieàcetyped’agriculture.EnFrance,lenombre
d’exploitations concernés était de 24 500 en 2012, et s’étendait 3,70% de la SAU. Depuis, le rythme de conversion s’est accéléré sans pour autant atteindre les objectifs fixés par les différents « grenelles » de l’environnement.
D’une manière générale, les bilans dressés chaque année par le Commissariat Générale au Développement Durable (plus particulièrement son « service des observations et des études statistiques ») montrent que, si des progrès incontestables ont étés enregistrés dans de nombreux secteurs d’activité, certaines pratiques continuent de poser de sérieux problèmes. Tel est le cas du recours excessifs à l’usage des pesticides. Loin de diminuer, la consommation de ces produits a augmenté, faisant de la France l’un des plus gros utilisateurs de pesticides au monde.
- 4.2 L’EXPLOITATION DESFORÊTS
Avec une superficie égale aux deux tiers des terres cultivées, et à la différence de ces dernières en expansion continue, les forêts peuvent apporter une contribution essentielle à l’allégement des
multiples pressions qui pèsent sur le sol. Ces espaces boisés sont en effet des territoires en général assez peu artificialisés qui présentent des caractéristiques les rapprochant des milieux naturels ou quasi- naturels. Mais ce sont aussi des espaces, souvent fragiles, qui ont été presque toujours influencés, voir
façonnés, par l’homme depuis des siècles. L’avenir des territoires ruraux est donc subordonné à la manière dont sont exploitées les considérables ressources forestières dont dispose la France. Outre les aménités qu’elles procurent et le rôle qu’elle joue dans la régulation du régime des eaux et du climat, les forêts sont en effet aussi productrices d’une matière première essentielle, le bois, qui est à l’origine d’une filière agro-industrielle qui emploie près d’un demi-million d’actifs en France.
Du fait de leur double identité de patrimoine naturel et d’espaces producteurs de ressources, servant de support à de multiples usages, les forêts doivent être gérées en pleine conformité avec les exigences de durabilité. Il est ainsi indispensable de garantir la stabilité des espaces face aux risques naturels ou technologiques, d’assurer le renouvellement des ressources et des services qu’ils fournissent. Il est nécessaire enfin de maintenir la diversité biologique des sols face aux agressions multiples dont ils peuvent être l’objet.
Depuis le Sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio en 1992, des efforts considérables ont été entrepris au niveau international pour donner un contenu précis à ce que devraient être les modes de développement des espaces forestiers. Au niveau européen, l’événement majeur a été la conférence ministérielle sur la protection des forêts en Europe qui s’est tenue en Finlande au mois de Juin 1993.
Cette conférence est à l’origine des multiples initiatives prises par les pays européens pour donner vie à ce qui a été dénommé plus tard le « processus d’Helsinki ». Les critères de gestion durable définis à la suite du processus d’Helsinki ont été repris dans l’article 1 du code forestier français et peuvent être à ce titre considérées comme le fondement des politiques forestières mises en œuvre depuis l’an 2000. Ces critères peuvent être brièvement résumés comme suit :
- Assurer la santé et la vitalité des forêts;
- S’assurer des capacités de régénération des forêts, c’est-à-dire éviter les situations où le renouvellement des peuplements forestiers n’est plus assuré;
- S’assurer que la fonction économique de la forêt est durablement satisfaite notamment pour les besoins en éco-matériaux de la filière bois et toute action contribuant à la lutte contre l’effet de serre par piégeage du carbone tout en maintenant la productivité des forêts;
- S’assurer que les fonctions sociales et environnementales de la forêt sont prises en compte en veillant tout particulièrement à l’accueil du public, au maintien de la biodiversité et àl’équilibre faune-flore.
Pour la mise en œuvre de ces principes, les pouvoirs publics disposent de deux instruments. Le premier concerne l’assistance apportée par l’Etat au secteur forestier privé, le second s’applique aux forêts publiques.
La forêt privée occupe près des trois quarts de la superficie forestière de la France
métropolitaine. Avec près de 11 millions d’hectares, elle couvre 21% du territoire national. 3.5 millions de forestiers se répartissent un espace divisé en propriétés dont les deux tiers ont une superficie inférieure à un hectare. La presque totalité des propriétaires sont des personnes physiques qui résident le plus souvent à proximité du bien dont ils ont hérité dans la majorité des cas.
Pour faire face aux problèmes engendrés par un tel morcellement des domaines les pouvoirs publics ont créé, avec l’appui de la profession, une institution destinée à faciliter les rapprochements nécessaires à une bonne gestion du patrimoine forestier. Dénommée Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), cette institution a le statut d’un établissement public au service des propriétaires. Le centre regroupe 18 centres régionaux, ainsi qu’un service de R&D : l’Institut pour le Développement Forestier (IDF). Le rôle de ce centre est d’élaborer des « schémas régionaux » de gestion sylvicole et d’agréer des « plans simples de gestion », obligatoires ou volontaires. Ces plans sont établis par des experts en liaison étroite avec les coopératives forestières. Le centre a en effet pour mission subsidiaire
de favoriser les regroupements de propriétaires. De fait, avec 120 000 producteurs forestiers adhérents, les coopératives gèrent deux millions d’hectares, assurant ainsi quelques 6 000 emplois, directement ou en sous-traitance. Ces coopératives sont réunies au sein de l’Union de la Coopération Forestière Française (UCFF). L’une des fonctions de l’UCFF est d’assurer un rôle de représentation auprès des pouvoirs publics et des différentes instances professionnelles auprès desquelles les coopératives sont appelées à intervenir.
Si l’Etat ne peut exercer qu’une action indirecte, par voie d’incitations, sur les propriétés privées, il a toute latitude, en revanche, pour agir sur les forêts dont il a la pleine propriété. Il peut ainsi mettre
en œuvre les « programmes forestiers nationaux » définis par les lois d’orientation forestières. En effet, plus de 25% de l’espace forestier est détenu par l’Etat (sous forme de forêts dites « domaniales » et à ce titre inaliénables) ou par les collectivités territoriales, c’est-à-dire, dans l’immense majorité des cas, les départements et les régions n’ayant qu’un patrimoine forestier des plus restreints, par les communes et leurs intercommunalités.
Pour mener à bien la mise en valeur de l’espace dont ils ont la responsabilité, l’Etat et les collectivités territoriales disposent d’une institution essentielle : l’Office National des Forêts (ONF).
Etablissement public à caractère industriel et commercial, disposant à ce titre de la pleine autonomie de gestion et de ressources financières non négligeables, l’ONF assure statutairement trois missions : la
production et la commercialisation du bois, l’accueil du public et la bonne gestion environnementale des espaces dont il assure, par délégation, la gestion. Les relations avec les collectivités publiques concernées sont régies par des contrats pluriannuels qui précisent les obligations de chacune des parties. Dénommé « Aménagement forestier », ce document définit les actions à entreprendre, qu’il s’agisse de la programmation des coupes, des mesures d’entretien ou du suivi des résultats.
Outre ses fonctions de gestionnaire des forêts publique (c’est-à-dire appartenant à l’Etat ou aux collectivités territoriales) et de protecteur des territoires exposés aux risques naturels ou technologiques, l’ONF est aussi gestionnaire et animateur des espaces naturels protégés situés sur les territoires dont il a la propriété ou dont il assume la gestion. Tel est le cas des Réserves Biologiques
(« dirigées » ou « intégrales ») des Réserves Naturelles Nationales9et des « sites Natura 2000 ». L’ONF, de même que les collectivités locales auxquelles il est associé, joue un rôle majeur dans la gestion d’espaces dont tous les acteurs, la sensibilisation aux problèmes d’environnement aidant, reconnaissent l’importance économique et écologique.
- 4.3 LA PROTECTION DES ESPACESNATURELS
Dès le début du XXèmesiècle un certain nombre de lois sur les sites et les paysages d’intérêt remarquable permirent à la puissance publique de prendre un certain nombre de mesures relatives à la protection d’espaces et de milieux naturels menacés. Même s’il fut en fait limité à certaines opérations
« ponctuelles » de sauvetage de tel ou tel site, le bilan fut loin d’être négligeable. Il faudra toutefois attendre les années 1970 pour que des dispositifs beaucoup plus ambitieux fussent mis en place, très souvent à l’initiative de diverses organisations internationales ou de la Communauté Européenne.
Deux types de dispositifs semblent s’être ainsi imposés. Les premiers ont pour but la constitution d’espaces fortement protégés par la réglementation. Les seconds, de nature plus incitative, se
traduisent par l’édiction de règles qui soumettent les aménagements envisagés à une charte de qualité. Loin d’être antinomiques, ces deux approches sont complémentaires ainsi que le prouve l’exemple des réseaux « Natura 2000 » d’une part et des parcs naturels régionaux d’autre part.
La Directive européenne du 21 mai 1992 sur la conservation des habitats naturels en Europe (dite directive Habitat), incite à la mise en œuvre d’un « ensemble de mesures pour maintenir ou rétablir les habitats naturels et les populations d’espèces de faune et de flore sauvages dans un état favorable ».
Chaque Etat membre est invité à participer à la constitution d’un réseau écologique européen de zones spéciales de conservation, dénommé « Natura 2000 ». Dans un délai de six ans, tous les Etats membres doivent sélectionner pour la Commission de Bruxelles une liste de sites indiquant les types d’habitat naturel qu’ils abritent afin que soit établie, à l’issue de cette période, une liste européenne de « sites d’importance communautaire ». Lorsque le processus est achevé, une liste des zones spéciales de protection des oiseaux migrateurs, dites ZICO, est établie comme l’ont été les zones spéciales de protection des oiseaux migrateurs en application des mesures prévues par une directive précédente, la directive « Oiseaux » de 1979. Chaque site « Natura 2000 » doit être accompagné d’un « document d’objectifs » définissant les orientations de gestion et de conservation. Si elle n’est pas explicitement prescrite, la conclusion de contrats entre l’Etat et les propriétaires publics ou privés est vivement encouragée.
La mise en œuvre de cette directive par la France a été extrêmement difficile car sous la pression d’élus locaux inquiets de la « mise sous cloche » d’espaces trop vastes à leurs yeux, eux-mêmes soumis aux pressions du lobby des chasseurs, aucune mesure ne fut prise avant 2001. Seules les condamnations répétées des cours suprêmes nationales et européennes vinrent à bout de ces réticences.
En septembre 2007, quinze ans après l’adoption de la Directive « Natura 2000 », le réseau français comptait 1705 sites, couvrant 6,8 millions d’hectares (hors milieux marins), soit 12.4% du territoire métropolitain terrestre. Une première évaluation portant sur 132 sites, fut menée la même année et aboutit au classement définitif des derniers contentieux entre la Commission bruxelloise et les autorités françaises. Pour la mise en œuvre de la directive le gouvernement français engagea des moyens de financement nationaux, tels les fonds spécialement affectés au programme Natura 2000 et inscrits à ce titre dans les contrats de projets Etat-régions. La France bénéficia aussi du concours du Fond Européen pour le Développement Rural (FEADER) de l’Union Européenne ainsi que des fonds « Life – nature » de cette même organisation spécialement affectés par l’UE à la mise en œuvre du programme Natura 2000.
Si elle repose souvent sur des normes juridiques contraignantes, la protection des espaces naturels s’appuie aussi sur des dispositifs de nature purement incitative. Tel est le cas des Parcs naturels régionaux français dont la création en 1967 remonte à une initiative originale de la Délégation
interministérielle à l’aménagement du territoire (DATAR) et à son premier président, le ministre Olivier Guichard. Formulée pour la première fois en 1966 à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu dans un village de Haute-Provence, l’initiative poursuivait deux objectifs étroitement liés dans l’esprit de ses promoteurs : d’une part animer des secteurs ruraux en difficulté, voire en déshérence, d’une part, protéger la nature et les sites historiques remarquables sur des espaces suffisamment vastes pour
permettre aux synergies de s’exprimer. Les parcs régionaux se situent ainsi aux antipodes des Parcs naturels traditionnels, de nature étatiques parce que conçus et gérés en France par l’Etat central, qui sont avant tout conçus comme des sanctuaires de la nature où la pression humaine, sauf dans les
« zones-tampons », est contenue au maximum.
Aux termes du décret du 24 octobre 1975 qui en a formalisé les principes, c’est la région qui a l’initiative de la création d’un parc régional. C’est aussi la région qui, aux termes de la loi, « établit la charte constitutive d’un parc naturel en liaison avec les collectivités locales et les organismes intéressés ». Mais ses responsabilités vont bien au-delà de la simple initiative, car, toujours selon la loi,
« la région établie la charte constitutive du parc naturel régional en liaison avec les collectivités et les organismes intéressés ». Ces procédures accomplies, la région prend la décision de création, non sans avoir toutefois reçu, au préalable, l’agrément du ministère en charge de l’environnement. Il s’agit donc en fait, d’un contrat passé entre l’Etat et les collectivités territoriales à partir de la charte constitutive, qui doit comprendre au minimum :
- La définition de l’organisme responsable de l’aménagement et de la gestion;
- Le plan du parc;
- Le programme des équipements à réaliser;
- Le bilan de financementcorrespondant.
La formule extrêmement souple permet d’associer les autorités locales avec une très grande variété d’acteurs représentatifs des différentes autorités économiques, sociales et culturelles des territoires. Le conseil d’administration du syndicat de gestion nomme le directeur qui ne dispose d’aucun pouvoir
réglementaire, à la différence du directeur d’un parc national qui peut théoriquement prendre toutes les mesures de sujétion nécessaires à l’application des réglementations prévues par la loi.
Dix ans après le décret de 1967 qui en autorisait la création, 21 parcs régionaux étaient en
opérations. Ils couvraient une superficie de 2.5 millions d’hectares, soit 4,5% du territoire métropolitain. En 1990, le taux s’élevait à 7%. Aujourd’hui, 51 parcs régionaux sont en activité, impliquant 4 400 communes, elles-mêmes peuplées de quatre millions d’habitants environ. De nombreux projets sont en
attente. Les experts prévoient que, dans un avenir proche, plus du quart du territoire français pourrait être couvert par le réseau, désormais très dense, des parcs naturels régionaux.
De nombreux parcs, tel le Parc naturel de la forêt d’Orient, situé dans la région champenoise, jouent un rôle essentiel dans la gestion et la préservation des zones humides, la protection des oiseaux migrateurs et la régulation des grands cours d’eau. Créé en 1970, dans le département de l’Aube, à
proximité de la ville de Troyes, il est, avec le parc régional du Morvan, l’un des cinq premiers parcs créés en France métropolitaine. Regroupant 56 communes (avec une population d’environ 23 000 habitants), il abrite en son sein de grands lacs artificiels qui, à l’instar du lac de Pannecière dans le Morvan, font partir du système de régulation du débit de la Seine. Ce système hydrologique fut mis en place dans les années 1960 en vue d’éviter les crus catastrophiques pour les populations dont ce fleuve est coutumier. Le parc abrite en outre une Réserve naturelle nationale (créée en 2002) et une réserve naturelle régionale des prairies humides (créée en 2010)10. C’est aussi un espace d’importance internationale régi par la Convention Ramsar pour la protection des oiseaux d’eau.
C’est dire toute l’importance que l’on doit attacher à la gestion de ce milieu extrêmement fragile que sont les ressources en eau.
- 4.4 LA GESTION DES RESSOURCES ENEAU
Dans toute la société les activités humines exercent des pressions importantes sur les ressources en eau tant par les prélèvements effectués que par le rejet de produits polluants. En agissant sur le fonctionnement du cycle de l’eau lui-même (par la construction de barrages, de canalisations, de travaux d’irrigation et de drainage), elles affectent aussi les conditions de renouvellement de la ressource.
La ressource en eau douce d’un pays est déterminée par le bilan hydrologique d’une année moyenne. Elle est calculée en additionnant les précipitations annuelles diminuées de
l’évapotranspiration, auxquelles l’on ajoute, s’il y a lieu, les apports des pays voisins. Pour la France métropolitaine, cet apport représente en moyenne 170 millions de mètres cubes. Pour une année hydrologique normale, les ressources en eau, ainsi évaluée à environ 3000 m3par habitant et par an, placent le territoire métropolitain parmi les pays relativement bien dotés en ce domaine. Au début du présent millénaire, les prélèvements totaux étaient estimés à 40 milliards de mètres cubes environ et les consommations nettes, c’est-à-dire déduction faite des prélèvements restitués au milieu aquatique, à 5 milliards de mètres cubes. Comparé à la ressource annuelle mobilisée, les prélèvements et, plus encore,
la consommation d’eau paraissent modestes – ce qui n’empêche pas le pays de connaître des tensions sérieuses, voire des situations de stress hydrique, du fait des grandes variations interannuelles et régionales de la ressource.11
A ces tensions, actuelles ou potentielles, s’ajoute la détérioration constatée depuis le début des années 1970 de la qualité des eaux de surface et souterraines. Excès de nitrates, eutrophisation,
micropolluants sont les symptômes d’une détérioration insidieuse des ressources hydriques, accentuée par des aménagements disproportionnés (ou mal conçus) et des pratiques économiques peu soucieuses de l’avenir des territoires et des enjeux qui en découlent pour ces derniers.
Une telle situation appelait une intervention énergique de l’Etat et de la communauté internationale. Celle-ci intervint dès l’année 1964 par la promulgation d’une loi sur l’eau qui prenait pour la première fois en compte la nécessité de mettre en place un système global de gestions des ressources nationales. Cette loi découpa le territoire en six bassins hydrographiques et créa des institutions nouvelles dotées de moyens de financement (sous forme de redevances dites de
« prélèvement » sur les ressources auxquelles s’ajoutèrent diverses taxes de « pollution ») propres à assurer cette gestion dans des conditions satisfaisantes. Constamment réadaptés pour faire face à des nouvelles exigences ces institutions – en l’occurrence, les comités de bassins12et les agences de l’eau créées par la loi de 1964 – existent toujours et ont été reprises sous des dénominations différentes, par l’Union Européenne. En 1992, une nouvelle loi apporta d’importants compléments et fournit, sous le titre « Eau et milieux aquatiques », l’un des chapitres les plus exhaustifs du nouveau Code sur
l’environnement qui fut adopté la même année. Quatorze ans plus tard, le 30 décembre 2006, le parlement français procéda à la révision de la loi dont la fonction essentielle fut d’assurer la mise en conformité de la législation française avec la Directive-cadre de l’Union européenne adoptée par le Parlement et le Conseil européen le 23 octobre 2000. En effet, depuis la fin des années 1970, c’est dans le cadre des politiques européennes d’environnement que s’insèrent désormais les politiques nationales de l’eau dans les Etats membres de l’Union.
La Directive-cadre de l’Union européenne du mois d’octobre 2000 réorganisa la politique de l’eau de manière radicale avec pour objectif la protection, à long terme, de l’environnement aquatique et des ressources en eau considérées selon le législateur européen « non comme un bien marchand
comme les autres, mais un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel ». Le défi pour les institutions des pays membres était considérable puisqu’il s’agissait de passer d’une obligation de moyens consacrés à des équipements, à une obligation de résultats mesurés par des indicateurs de
nature biologique ou physico-chimiques, connus des spécialistes mais peu utilisés dans la pratique quotidienne des gestionnaires de l’eau – ce qui ne fut pas sans susciter de vigoureux débats de la part des parties directement ou indirectement concernées.
La directive proposa un objectif global assorti d’un calendrier précis et de méthode de pilotage des nouvelles politiques. L’objectif fut de parvenir au « bon état (écologique et chimique) des eaux » en 2015 partant d’un bilan initial établi en décembre 2004 au plus tard. Un milieu aquatique en « bon
état » étant défini comme une rivière, un lac, une nappe d’eau souterraine, d’un littoral marin dont l’eau garantit la santé humaine et préserve la vie animale et végétale.
Pour ce qui est de la France, cette Directive (au demeurant fortement inspirée du système français des agences de bassins) impliqua la préparation pour chaque district hydrographique, d’un plan de gestion dénommé « Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux » (SDAGE). Les autorités compétentes furent aussi invitées, après consultation des citoyens et des institutions concernées, à un « programme de mesures » couvrant dans un premier temps la période 2010-2015.
Pour être approuvé par la Commission de Bruxelles, ce schéma devrait comporter un dispositif de suivi et d’évaluation (dénommé « programme de surveillance » pour la directive) permettant de vérifier dans quelle mesure les objectifs contenus dans le programme d’actions ont été atteints.
Si les actions visant à la protection des eaux et à la planification des politiques correspondants se déclinent effectivement à l’échelle du besoin versant et du système hydrologique qui structure ce dernier, le plus souvent un fleuve, la fourniture de ce bien vital qu’est l’eau potable relève d’une entité essentielle sans l’ordre administratif français, la commune. La responsabilité de la commune en ce
domaine a débuté avec la loi de 1790 qui leur a confié la mission d’assurer la salubrité publique. Ainsi les communes de France furent amenées progressivement à prendre d’abord en charge la fourniture d’eau potable à leurs administrés et ultérieurement la collecte des eaux usées. L’eau potable est en effet un bien éminemment local, généralement conditionné à proximité de son lieu de production pour des raisons de disponibilité physique, de coût, de transport et d’exigences de qualité.
Afin de faciliter la distribution de l’eau potable et son assainissement dans de bonnes conditions (assainissement qui représente une part croissante du prix payé par l’usager pour sa consommation d’eau), les communes, de dimension modestes se regroupent en structures intercommunales qui peuvent soit assurer directement la fourniture de services soit déléguer cette tâche pour une période déterminée à une entreprise spécialisée.
Les petites communes, surtout en milieu rural, doivent consentir un effort considérable pour fourniràleursusagersuneeaupotableconformeauxnormessanitairesactuellementenvigueuretdont les exigences, principe de précaution aidant, ne cessent de se complexifier et de se durcir. En effet, les directives de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de 1993, révisées en 2004, servent de base aux réglementations sanitaires en vigueur dans le monde. Ces normes dites les normes EDCH (« Eau destinée à la consommation humaine ») définissent le niveau de risque acceptable pour protéger la population des affections d’originehydrique.
Les normes de qualité de l’eau potable comprenaient 5 critères en France en 1885 – au moment de la révolution pasteurienne. En 2009, l’Union Européenne en préconisait 49, le contrôle des polluants portant sur trois types de micro-organismes, 26 substances chimiques et 20 paramètres de qualité dont le goût et l’odeur. L’un des objectifs les plus difficiles à atteindre concerne le taux de concentration de l’eau en nitrates. La norme OMS de 1980 préconise un niveau pour la concentration en nitrates dans
l’eau potable de 25 mg par litre. Moins exigeante, la directive européenne de 1998 admettait – c’est toujours la norme en vigueur – une concentration maximum admissible de 50 mg par litre.
La mise en œuvre de cette directive est à l’origine de plusieurs contentieux très graves entre la France et la Commission de l’UE. Les conflits qui débutèrent à la fin du siècle dernier se sont terminés en 2016. Dans un arrêt du 8 mars 2001, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) condamna l’Etat français pour manquement à ses obligations de réduction de la pollution par les nitrates en Bretagne, condamnation renouvelée en 2007. Sept ans plus tard, un nouveau contentieux surgit qui concernait, cette fois, la délimitation trop laxiste aux yeux de la Commission de Bruxelles, des zones vulnérables aux nitrates, la fixation des dates et durées des épandages autorisés. L’enjeu était
considérable puisqu’il concernait des millions d’exploitations et plusieurs centaines de communes- sans oublier d’éventuelles pénalités financières. Après de longues tractations, un accord fut trouvé le 9 décembre 2016 et la procédure entamée devant la Cour de justice de l’Union Européenne abandonnée. La France, d’ailleurs n’était pas le seul pays dans ce cas puisque huit autres états membre de l’UE font l’objet d’une procédure contentieuse, toujours en cours, au titre de la Directive nitrates.
Dans un examen récent des performances environnementales de la France effectué par
l’Organisation de Coopération et de Développement en Europe (OCDE) 13, le groupe d’experts de cette organisation chargé de l’évaluation appréciait dans les termes suivants les actions entreprises par la France dans le domaine des politiques de l’eau :
« La France subit un stress hydrique modéré, mais la ressource en eau se raréfie dans certains territoires et les étiages s’aggravent dans le sud du pays. Les prélèvements ont diminué depuis 2000. La pollution des cours d’eau par les matières organiques et phosphorées a diminué aussi grâce notamment à une réglementation plus contraignante et aux progrès de l’assainissement, mais la pollution par les nitrates et les pesticides, perdure. Comme beaucoup de pays européens, la France a demandé des reports de délais (à échéance de 2021) ; se voyant dans l’incapacité d’atteindre l’objectif de bonne qualité des eaux fixé par la Directive-cadre sur l’eau. La qualité de l’eau à laquelle la presque totalité de la population a accès, est en revanche d’excellente qualité » (OCDE, Examen environnemental de la France, Paris, 2016).
Dans son évaluation, le Groupe de travail de l’OCDE a aussi noté que le système de gestion intégrée par bassin hydrographique avec « une gouvernance décentralisée et participative » est le point fort de la politique de l’eau française. Cependant, aux yeux des experts du Groupe de travail, « la multiplicité des acteurs, la complexité de leur articulation et l’émiettement des responsabilités nuisent à l’efficacité de la gouvernance et à la mise en œuvre des politiques de l’eau ».
Il apparait ainsi que la voie qui mène vers un mode de développement plus juste pour les populations et plus respectueux des ressources naturelles, toujours menacées, est toujours plus longue, tortueuse et difficile qu’initialement envisagé. Les indéniables progrès accomplis, en dépit des multiples obstacles rencontrés, invitent toutefois à ne jamais désespérer.
NOTES
1 Telle est la thèse développée par le sociologue Jean Viard dans son Nouveau portrait de la France : la société des modes de vie. Dans ce livre publié en 2012, l’auteur rappelle l’allongement significatif de la durée de vie au cours du XXèmesiècle, la réduction du temps consacré au travail et au sommeil et la multiplication par quatre du temps – devenu majoritaire – dédié aux autres activités : éducation, mobilité, santé, loisirs. En 1900, le travail et le sommeil occupaient 70% de la vie ; ils n’en prennent plus que 40% aujourd’hui. Au-delà de ces données, les analyses de J. Viard invitent le lecteur à s’interroger sur son rapport à la consommation et à son corollaire : la sobriété.
2 On notera toutefois que le 33èmerecensement de la population effectué en 1999 aura été le dernier à avoir et mené à bien selon la méthode traditionnelle du recensement général c’est-à-dire selon un rythme quinquennal. A partir de 2004, il a été remplacé par des méthodes de recensement « en continu », par tranches géographiques, qui se déroulent selon des modalités différentes selon la taille des communes, durant un cycle de cinq ans.
3 Cette situation est la conséquence de la faiblesse démographique de la France au cours XIXèmesiècle et de la première moitié du XXèmesiècle. On en trouve l’illustration dans un exercice de simulation effectuée par le démographe Jacques Vallin. Ainsi, selon les calculs effectués par ce dernier « si la population française avait depuis 1750, suivit la voie de l’Allemagne, où pourtant la baisse de la
mortalité a été plus tardive, elle aurait atteint en 1946, malgré les guerres, 120 millions d’habitants. Au rythme du Royaume-Uni, elle aurait pu dépasser 180 millions, tout en alimentant une émigration décisive vers l’Amérique du Nord ».
4 Cet ouvrage est un ralentissement, à bien des égards comparable, à celui qu’eut en son temps, c’est-à- dire au sortir de la deuxième guerre mondiale, celui du géographe Jean-François Gravier sur Paris et le désert français. Le livre de J-F. Gravier est, dit-on, à l’origine des politiques d’aménagement du territoire poursuivies, de manière continue, quoique sous des formes différents, depuis les années cinquante jusqu’à nos jours.
5 Se référant à un sondage effectué au mois d’avril de la même année dans lequel les personnes
interrogées exprimaient le vœu de s’installer en zone rurale (13% ayant des projets précis à cet égard), l’auteure de l’article, Isabelle Rey-Lefebvre, concluait qu’en extrapolant, de manière peut être hasardeuse, ces données à l’ensemble de la population française, ou pourrai conclure que 7 millions de citadins avaient l’intention de quitter la vile et que 2.7 millions le feraient dans les cinq prochaines années. Mais l’auteure mettait aussi en garde les candidats éventuels à la migration contre de cruelles désillusions surtout dans l’hypothèse où de véritables politiques d’accueil n’auraient pas été mises en place dans les territoires concernés.
6 Cette thèse est développée de manière particulièrement éloquente par le professeur Jean-Robert Pitte dans un ouvrage de synthèse sur la géographie de la France, publié en 1997. Selon lui, les communes sont les seuls institutions qui peuvent « prendre en charge les micro-aménagements si nécessaires au bon fonctionnement de l’espace rural : entretien de chemins, des bois, fleurissement, etc. Par ces temps d’individualisme et de technocratie, elles sont un échelon imparfait, mais nécessaire à l’exercice des responsabilités collectives » Précisions que J-R Pitte, est aussi l’auteur d’une remarquable histoire des paysages français.
7 C’est ainsi que dans une question écrite au gouvernement (publié dans le Journal Officiel du Sénat du 17 avril 2014), le sénateur Hervé Maurey s’est permis d’attirer l’attention du ministre des finances et des comptes publics sont les inégalités de traitement entre communes urbaines et rurales en matière de dotation globale de fonctionnement (DGF). L’association des maires ruraux de France avait en effet constaté que la DGF dans une commune urbaine était parfois de 1.5 à 2.5 fois plus élevée que dans une communerurale. Laréponseduministre,publiéedansleJournalOfficiel duSénatendatedu 11
septembre 2014 montre l’extrême complexité du système en place, incompréhensible au demeurant pour le profane. Vingt ans auparavant, le Conseil économique et social dans un rapport du 6 juillet 1994, avait noté que « la structure de la fiscalité directe locales, caractérisée par la multiplicité des
prélèvements sur une même assiette, favorisait l’accroissement de la pression fiscale et la confusion des responsabilités ». Quant à l’intervention croissante de l’Etat, elle contribuait à « distendre un peu plus les liens entre le citoyen-contribuable local et la collectivité ».
8 Deux systèmes statistiques permettent de mesurer l’utilisation des sols. Le premier se réfère à l’occupation des sols et renvoie à la couverture biophysique des sols. Il indique comment l’espace se répartit en zones « artificialisées » par l’action de l’homme (c’est-à-dire essentiellement bâtiments et les infrastructures), en terres de culture, de forêts, en espaces semi-naturels, en zones humides et en
« surfaces en eau ». Le second système, de nature plus sous-économique, prend en considération l’utilisation de l’espace par la population pour satisfaire ses besoins : agriculture, sylviculture,
logements, loisirs, etc. Il est piloté par l’Agence européenne de l’environnement, et s’étend à 39 Etats.
Dénommé Corine Land Cover, le système d’observation mis en place au niveau européen permet de
repérer les changements intervenus dans l’affectation des sols à intervalles réguliers en principe tous les cinq ans.
9 C’est en 1991 que parût au Journal Officiel de communauté européenne le règlement CE 2092/91. Entré en vigueur en 1993, ce règlement fixait les règles de la production végétale bio. Les premières aides à la conversion apparurent en 1993 et, en 1999, parallèlement à la création du logo européen, les règles communautaires furent étendues aux productions animales. Au niveau français, la loi
d’orientation agricole, adoptée en 1980, reconnaît implicitement l’agriculture biologique, sans toutefois la nommer explicitement. Le logo vert français « AB » fut introduit en 1985. (ou estimait alors que moins de 0.5% des exploitations agricoles pratiquaient le « bio »). En 2001, fut créée l’Agence Bio groupement d’intérêt public associant les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique(FNAB) et les Chambres d’Agriculture. En 2007, lors des conférences, dites du
« Grenelle de l’environnement », le gouvernement fixa des objectifs ambitieux pour l’agriculture biologique, en particulier celui d’atteindre 20% de le SAU en bio assortie d’un plan de gestion de la biodiversité.
10 Créées par une loi de 1930 à des fins scientifiques et étendues par la législation ultérieure à des objectifs plus larges, les réserves naturelles ont pour vocation la préservation stricte de milieux fragiles, rares ou menacés, de haute valeur écologique ou scientifique. Le réseau des réserves françaises couvre une grande diversité de milieux naturels, ou quasi-naturels, et abrite de nombreuses espèces protégées.
Souvent exigües, les réserves ne protègent toutefois qu’une faible proportion de la nature, des
établissements publics tels les parcs nationaux ou l’Office National des Forêts (ONF), ou des instances locales, au premier rang desquelles il convient de mentionner les parcs naturels régionaux. Créées souvent à des fins expérimentales – Les « réserves intégrales » de la nature ont pour but de laisser
évoluer un milieu donné à l’abri de toute intervention humaine.
11 Ces bassins auxquels correspondaient autant d’agences de l’eau étaient : le bassin de Seine – Normandie, Loire – Bretagne, Adour – Garanne, Rhône – Méditerranée, Rhin – Meuse et Artois – Picardie. En terme de superficie, la plus vaste est le bassin de Loire Bretagne (155 000 km2) et 11 600 000 habitants. Le plus peuplé est celui de Seine – Normandie avec une population de 17 400 000 habitants pour une superficie de 96 000 km2. Précisons que quatre grands fleuves irriguent le territoire, le plus long et le plus « sauvage » était la Loire avec une longueur de 1020 km. Le territoire français se caractérise aussi par une assez bonne hydrologie souterraine telle qu’on peut l’appréhender à travers la répartition des aquifères sur la plus grande partie de l’espace métropolitain.
12 Les comités de bassin sont une structure de décision qui associe élus locaux, représentants de l’Etat, usagers (industriels et agriculteurs) et des associations. Les comités de bassin sont assistés par des
« agences de l’eau » qui sont établissements publics administratifs de l’Etat, dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière. Ces derniers ont pour mission de promouvoir, à l’échelle du bassin versant dont elles ont la charge, une utilisation rationnelle des ressources en eau en luttant contre les pollutions et en assurant la protection des milieux aquatiques. Les agences de l’eau sont notamment chargées de la coordination du schéma directeur d’aménagement des eaux (SDAGE) dont il sera
question plus loin et des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) au niveau local qui en découlent. Le SAGE est lui-même élaboré par une Commission locale de l’eau (CLE) qui comprend des
représentants de l’Etat et des collectivités locales.
13 Depuis 1994, la France conformément à ses obligations internationales publie tous les quatre ansun
rapportexhaustifsurl’Etatdel’environnement.Lesdifférentsorganesdel’ONU,L’Unioneuropéenneet l’OCDE utilisent ces données pour évaluer à échéance régulière la situation environnementale de ce pays, et, favoriser ainsi, selon l’OCDE « les échanges de bonnes pratiques, aider les gouvernements à rendre compte de leurs politiques, et améliorer la performance environnementale, individuelle et collective, des pays membres ». A partir des années 2000, les experts de l’OCDE ont élargi le champ couvert par leurs évaluations au développement durable, la transition énergétique et à labiodiversité.