CERCLE TRIGLAV, OUGNY 10-11 JUILLET 2010
ORDRE DU JOUR
LA CIVILITE: CONDITION POUR LA DEMOCRACIE DANS UN MONDE PLURAL
Le sous-titre de ce sujet propose pour la réunion des 10-11 Juillet est le suivant : rapprocher les cultures par une meilleure compréhension des exigences de la civilité aux niveaux local, national et international.
Plusieurs hypothèses sont implicites dans ce titre et ce sous-titre : d’abord que le monde souffre d’incivilité, c’est-a-dire d’un manque d’observation des convenances, des bonnes manières en usage dans un groupe social ; ces « bonnes manières » seraient-elles donc universelles et universellement négligées ? Ou bien, songe-t-on ici avant tout aux démocraties occidentales et a certains aspects de la manière d’être qui se répand avec la mondialisation ? Ensuite, l’hypothèse est faite que la démocratie est a la fois le régime politique le plus souhaitable et celui qui a le plus de chances de se répandre dans le monde du 21eme siècle. En troisième lieu, il est envisage que le pluralisme culturel est sinon vigoureux aujourd’hui mais a tout le moins désirable et compatible avec la propagation de la démocratie. Et celle-ci est vue a la fois comme un régime politique, impliquant notamment des élections libres, et comme un ensemble de valeurs centrées sur le respect des droits de l’homme et sur l’idée de responsabilité a l’égard d’autrui et de la collectivité. Enfin, au cœur du sujet retenu est l’idée que civilité et démocratie ne sont pas séparables, ou plutôt que la démocratie n’est pas possible sans des rapports civils entre citoyens égaux devant la loi mais séparés par de multiples formes d’inégalité.
Ces hypothèses seront sans nul doute examinées de façon critique au cours de la discussion qu’il est propose d’organiser autour de deux questions :
- Les fondements moraux de la civilité et le concept de démocratie; et,
- Civilité, civisme et démocratie.
Première question : Les fondements moraux de la civilité
Pour Locke comme pour Adam Smith, que l’on peut légitimement considérer comme les pères spirituels de la démocratie libérale que les Etats Unis d’Amérique et l’Europe Occidentale ont tente de mettre en place depuis la fin du 18eme siècle, les sentiments moraux sont à la base de toute société humaine. Et, le plus fondamental de ces sentiments est l’amour du prochain. Ecoutons Locke : « Our Savior’s great rule that we should love our neighbors as ourselves is such a fundamental truth for the regulating of human society, that, I think, by that alone one might without difficulty determine all the cases and doubts in social morality.”Quant a Smith, sa notion de “sympathie” qui doit imprégner les relations humaines, y compris les relations économiques qui se nouent sur le “marche”, n’est rien d’autre que ce même amour du prochain fait de respect et de reconnaissance d’une humanité partagée.
Ainsi, pour ces fondateurs de l’idée d’une société réconciliant liberté individuelle et égalité des droits, il y a continuité entre amour du prochain, moralité et harmonie sociale, et la civilité est l’expression de cette morale altruiste. A la civilité s’opposent non seulement la rudesse et la violence mais surtout l’égoïsme. Une société civile est une société ou l’instinct d’intérêt personnel est tempère et sublimé par le respect pour l’autre et la générosité.
Que penser de cette filiation entre morale et civilité ? Cette base morale est-elle indispensable à la civilité ? La civilité a-t-elle besoin de racines morales ?
Sachant que la civilité –et les civilités, bienséances et autres bonnes manières et étiquettes- sont nées dans des sociétés hiérarchisées et inégalitaires – particulièrement la société aristocratique de la France du XVII eme siècle- que faut-il penser de cette relation entre philosophie morale et civilité dans une société démocratique ? Ce lien est-il fait parce que la civilité serait sans racines dans un contexte égalitaire ?
Il est peu contestable qu’il y a une culture moderne dominante et que cette culture, issue de l’utilitarisme et du pragmatisme, privilégie un individualisme qui n’est souvent qu’égoïsme, voit dans le « marche » une arène ou les plus puissants et les plus habiles imposent leur volonté, et réduit la sphère publique a ses fonctions de maintien de l’ordre social.
Cette même culture dominante a entretenu, au moins jusqu’à une date très récente, une relation négligente et même violente et exploitative a la nature, aux choses, aux plantes et aux animaux qui entourent l’homme. Ce manque de civilité a l’égard du milieu environnant est-il lie au manque de civilité a l’égard d’autrui ?
En tout cas, une telle culture politique tend à reléguer l’amour la sympathie, l’altruisme et le respect pour la nature dans la sphère privée. Elle aggrave aussi bien les inégalités que diverses formes d’aliénation et d’exploitation. Elle semble être antinomique à toute forme de civilité. Si tel est bien le cas, quel est l’avenir des sociétés qui propagent ou subissent cette culture ? Devraient-elles refonder leur morale pour trouver, ou retrouver, civilité et respect pour l’Autre et le milieu ?
Disposons-nous, en Occident ou ailleurs, dans le passe ou dans le présent, d’un modèle de société « civilise », au sens d’offrant une parfaite civilité dans les rapports humains ? ?
Deuxième question :Civilité, Civisme et démocratie
La civilité englobe la politesse, la courtoisie, les bienséances et les différents types d’étiquettes et de rituels qui régissent les relations entre individus et groupes de statuts varies et les rapports entre citoyens et institutions, dont celles de pouvoir.
Y-a-t-il un continuum entre ces entre ces différents aspects de la mise en forme des rapports humains ? Par exemple, est-ce-que l’étiquette qui prévaut dans les rapports entre citoyens et détenteurs du pouvoir politique ou judiciaire (« Monsieur le Président », « Votre excellence », « Votre Honneur », etc.…) peut coexister avec un manque de politesse dans les rapports quotidiens de ces mêmes citoyens ? En d’autres termes si l’un des maillons de cette « chaine » qui va de la bienséance (ne pas cracher dans la rue…) a la civilité (traiter chacun avec déférence et respect) vient à se dégrader- ou a s’améliorer- ce changement a-t-il des conséquences sur l’ensemble des comportements qui font qualifier une société de civilise ou de rude et brutale ?
En outre, et sur un plan peut-être encore plus important, y-a-t-il des passages – également positifs ou négatifs- entre la civilité et le civisme ? Qu’en est-il de la civilité et du civisme dans les démocraties occidentales d’aujourd’hui ?
Dans ces démocraties occidentales, et notamment dans la plus puissante d’entre elles, les « bonnes manières » n’ont pas une excellente réputation. Etre poli, c’est en fait être « trop poli », c’est-a – dire être soit efféminé soit hypocrite, et en tout cas n’être pas une personne en qui l’on peut avoir confiance et avec laquelle il est utile de « perdre son temps ».La franchise, la rigueur, et surtout, l’efficacité ne saurait s’embarrasser de phrases inutiles et de gesticulations sans objet. Et un tel « dépouillement » dans les rapports humains se retrouve bien sur dans ce qui fut la « correspondance » et qui n’est plus que la « communication » et « l’information ». Le « style » Internet ne doit certes rien à celui de Madame de Sevigne.
En même temps, et en limitant la comparaison entre le présent et les quelques décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale, il n’est guère contestable que le civisme, mesure a l’aune de la participation a la chose publique, a recule plutôt qu’avance dans les démocraties libérales. Est-ce que les individus d’une société libre ne peuvent être des personnes intéressées au devenir de leur collectivité qu’a la condition de pratiquer les différentes formes de civilité ? Steven Carter, professeur à l’Université de Yale a écrit récemment que les bonnes manières et l’étiquette sont des pre-conditions du dialogue démocratique.
Dans la même veine, l’on peut se demander si l’affaiblissement des rites, rituels et cérémonies diverses qui ont traditionnellement enrichi le tissu social n’est pas également l’une des explications a l’indifférence civique et a l’incivisme dont souffrent les sociétés contemporaines. En somme, des individus isoles dans leur recherche hédoniste et leur appétit d’argent et de pouvoir auraient les plus grandes difficultés à se mettre en société, surtout parce qu’ils auraient perdu la notion même de ce qu’est une société et de ce qu’implique le désir du vivre ensemble. La nécessaire interdépendance des attitudes, faits et institutions sociales a été notamment mise en lumière par Norbert Elias dans son livre écrit en 1939 et intitule Sur le Processus de Civilisation.
Si l’incivilité et l’incivisme se nourrissent mutuellement et sont, in fine, destructeurs de démocratie, qu’est-il possible de faire pour corriger et éventuellement renverser ces tendances ? Chacun s’accorde pour privilégier le rôle de l’éducation, aussi bien dans le milieu familial que dans les écoles et universités, mais, concrètement, quelles politiques sont envisageables, ou déjà mises en œuvre, pour former a la civilité et au civisme ? Et quel devrait être le rôle de ces medias dont la puissance et la responsabilité sont si grandes ?
Enfin, les diverses interdépendances qui lient les êtres humains de toute la planète en ce début du 21eme siècle crient pour la création de formes d’organisation internationale et globale qui seraient au moins capable d’éviter a l’humanité les cataclysmes dont elle est menacée. Quelle civilité permettrait aux diverses cultures de coopérer en bonne intelligence et quel civisme planétaire pourrait être imagine afin qu’une véritable communauté internationale puisse voir le jour ?
PROGRAMME DE TRAVAIL
Vendredi 9 Juillet, 19 heures : diner a Ougny
Samedi 10 Juillet, 9h30 : Ouverture de la réunion
Première question : les fondements moraux de la civilité. Introduction et débat, y compris sur les questions suivantes :
- Dans quelle mesure les politiques des démocraties libérales sont-elles façonnées par une éthique de sympathie et d’empathie ?
- Si non, pourquoi pas ? Les nombreux écrits de philosophes et essayistes qui au long des siècles ont plaide pour une telle relation entre éthique et politique ont-ils donc été vains et inutiles ? Pourquoi cet écart qui semble permanent entre principes et pratiques ? Comment les pensées de Locke ou Smith, reprenant l’idée centrale des grandes religions sur l’amour du prochain pourraient –elles être actualisées ?
- La civilité n’est-elle pas la responsabilité et le devoir de tout individu bénéficiant de ses droits ? Si les droits de l’homme signifient autre chose que la liberté d’agir a sa guise, peuvent-ils avoir d’autres sources que spirituelles ?
- Une société peut-elle survivre sans que l’équité et la justice soient au nombre de ses priorités ?
- La pensée suivante est-elle vraie et comment pourrait-elle être mise en pratique ? Sans le respect pour les principes fondamentaux sous-tendant la civilité, ni la paix ni la sécurité dans un environnement capable de maintenir la vie ne seront possibles.
13h : Déjeuner
14h30 : Continuation du débat sur la première question.
15h50 : Pause
16h -18 h: Introduction du débat sur la deuxième question : Civilité, civisme et démocratie ; débat y compris sur les questions suivantes :
- La civilité peut-elle être un antidote à la violence et aux inégalités qui minent les sociétés modernes et « démocratiques » ?
- Y-a-t’il et pourrait-il y avoir un code universel de la civilité comparable a la Déclaration Universelle des droits de l’Homme ?
- Qu’en est-il à cet égard de la Charte de la Terre ? (Earth Charter)
- Le dicton « Fais a Rome comme font les Romains » pourrait-il avoir un équivalent dans une communauté globale ?
- Quels sont les obstacles à l’instauration d’un minimum de grâce dans les rapports humains ?
- Une économie de marche devenant une société de marche est-elle, par nature, incivique sinon incivile ?
- Dans une democracie, le respect des lois est-elle une alternative a la civilite ?
- Observe-t’on des formes de civilite, et de civisme, dans les milieux que l’on pourrait qualifier de nouvelles élites internationales ?
19h.30 : diner
Dimanche 11 Juillet
9h30 : Continuation du débat sur la deuxième question
11h : Pause
11h15 : Continuation du débat sur la deuxième question
13h : Dejeuner
14h30 : Conclusion generale.Y compris discussion des éléments qui devront être mis en valeur dans le rapport sur les débats. Exercice écrit sur ce choix de l’ossature du rapport.
16h30 : Fin de la réunion
18 h : Diner